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Découvrir de nouveaux remèdes grâce aux connaissances occidentales et aux savoir traditionnels
Les savoirs traditionnels autochtones sont à la base de l’initiative « De la prairie à la pharmacie » visant à combler les lacunes du Canada en matière de recherche sur les produits naturels, et à trouver de nouveaux médicaments contre le cancer grâce à la flore des prairies.
Par
Alex Nguyen
Établissement(s)
University of Lethbridge
Province(s)
Alberta
Sujet(s)
Cancer/Oncologie
Sous la loupe du microscope, Haley Shade (ci-dessus, à gauche) a découvert quelque chose d’étonnant : des vésicules anormales sont apparues sur les cellules cancéreuses humaines étudiées dans le cadre de son expérience.
Vingt-quatre heures avant que ces sacs remplis de liquide ne surgissent, elle avait traité les cellules avec un extrait d’iksi"tsi'kim'issttan, nom que les nations de la Confédération des Pieds-Noirs donnent à une plante médicinale du sud de l’Alberta.
« Les vésicules avaient l’apparence de bulles, explique l’étudiante en biologie à l’Université de Lethbridge. Parfois, les cellules cancéreuses en produisent pour se protéger, explique-t-elle. Leur apparition nous laisse donc penser que l’extrait pourrait être utilisé à des fins thérapeutiques. »
L’iksi"tsi'kim'issttan n’a pas été choisie au hasard. En effet, la plante pousse dans la communauté d’origine de la chercheuse : la nation des Gens-du-Sang (Kainai), qui fait partie de la Confédération des Pieds-Noirs, et représente la collectivité autochtone la plus grande du Canada en terme de superficie. Son grand-père, qui connaît bien la médecine traditionnelle des Pieds-Noirs, lui a offert les plantes en 2020, lui demandant de faire des essais en laboratoire, ce à quoi elle s’est consacrée cet été-là.
Les travaux de Mme Shade reposent sur un amalgame de savoirs traditionnels et occidentaux qui permet de comprendre les effets des plantes sur la santé. L’une des caractéristiques qui fait l’originalité de cette étude est que la chercheuse ne connaîtra le nom scientifique ou commun de la plante qu’au terme de ses recherches, après consultation auprès de sa communauté. Cette démarche contraste avec d’autres études où l’espèce végétale est dès le départ confirmée par des botanistes.
Ces travaux s’inscrivent dans le cadre de l’initiative « De la prairie à la pharmacie » lancée par l’Université de Lethbridge au milieu des années 2010 afin de trouver des produits chimiques dérivés de plantes destinés à des produits cosmétiques ou à un usage médical pour le traitement de maladies comme le cancer. Pour ce faire, le programme conjugue parfois savoirs traditionnels et méthodes scientifiques occidentales.
Le Canada est l’un des endroits de la planète les moins étudiés par les scientifiques en médecine naturelle
L’initiative « De la prairie à la pharmacie » est née de la prise de conscience que les écosystèmes canadiens offrent des perspectives exceptionnelles en matière de recherche sur les produits naturels, affirme Roy Golsteyn, biologiste cellulaire et directeur du programme.
Ce constat a frappé M. Golsteyn qui a travaillé en Europe où les matériaux naturels sont couramment étudiés en laboratoire et utilisés dans la composition de médicaments et de produits cosmétiques.
Bien que le Taxol, principal médicament anticancéreux, ait été mis au point à partir de l’if occidental qui se trouve essentiellement en Colombie-Britannique, M. Golsteyn est d’avis que le Canada a été négligé comme source de plantes médicinales en raison de son climat froid et de sa croissance végétale moins luxuriante que celle des tropiques.
C’est ironique puisque, comme le souligne M. Golsteyn, plus les plantes doivent lutter pour survivre, plus les composés chimiques qui leur permettent de résister aux conditions extrêmes sont intéressants.
« Ici, dans les prairies, il peut faire extrêmement froid et, en été, extrêmement chaud. De plus, comme les plantes ne peuvent échapper aux animaux qui cherchent à s’en nourrir, elles fabriquent des produits chimiques pour subsister dans ces conditions. »
Heureusement, l’initiative « De la prairie à la pharmacie » repose déjà sur de solides assises. « Il existe d’excellentes connaissances botaniques sur les espèces végétales au Canada, mais en comparaison avec d’autres pays, il y a peu de données scientifiques occidentales sur leurs propriétés biomédicales, explique M. Golsteyn. En revanche, on dispose des savoirs traditionnels. »
Et comme l’Université de Lethbridge se trouve à proximité de la nation des Gens-du-Sang et entretient des liens étroits avec celle-ci, le biologiste a vu une réelle occasion de nouer un partenariat afin de favoriser l’échange d’information entre les deux groupes.
La recherche sur les plantes médicinales ne vise pas à valider les savoirs traditionnels
M. Golsteyn souligne que l’initiative « De la prairie à la pharmacie » veille à ne pas exploiter les savoirs traditionnels. Ces données ne sont intégrées dans les travaux que si une personne autochtone prend part à la recherche.
Depuis la création du programme en 2013, l’accent a été mis sur le bien-fondé des deux systèmes de connaissances à part égale.
« Notre rôle n'est pas de valider ce savoir traditionnel, mais d’amalgamer deux sources de connaissances pour approfondir ce que nous pouvons comprendre, » affirme Mme Shade.
Selon elle, cette valeur sous-tend l’ensemble du processus de recherche.
Avant de récolter les plantes, explique Mme Shade, l’équipe de recherche présente une offrande de tabac à la Confédération des Pieds-Noirs pour « remercier le Créateur et attester que les plantes seront utilisées à bon escient. » Les chercheurs et chercheuses consultent également les membres de la nation des Gens-du-Sang, notamment les guérisseurs et les aînés, pour bénéficier de leur savoir.
« Nous répertorions également le nom traditionnel pied-noir des plantes pour mettre en évidence que celles-ci sont connues d’un autre groupe de personnes, et ce, depuis très longtemps, » précise-t-elle.
De retour au laboratoire, on analyse les plantes selon une approche scientifique occidentale. Toutefois, seuls les étudiants de la communauté d’origine des plantes procèdent aux essais, de manière à respecter le processus de manipulation de ces végétaux.
L’équipe de recherche partage ses résultats avec les communautés autochtones en organisant divers séminaires ou présentations, conformément à la tradition des Pieds-Noirs qui consiste à partager oralement les connaissances.
« Je retourne ensuite à la Réserve des Gens-du-Sang où je communique certains résultats de la recherche préliminaire et divers renseignements sur le laboratoire, » poursuit Mme Shade.
La chercheuse compte reconduire cette approche lorsqu’elle commencera ses études de médecine à l’automne prochain. « Maintenant que je connais deux formes du système de connaissances et que j’ai découvert à quel point les savoirs traditionnels peuvent encore nous être utiles, je me porterai assurément à la défense des patients qui souhaiteraient opter pour ce type de traitement. »
Des médicaments naturels à base de plantes des prairies : un riche potentiel à découvrir
Près de sept ans après sa création, l’initiative « De la prairie à la pharmacie » a encore beaucoup de pain sur la planche, affirme M. Golsteyn.
Afin de sélectionner les candidats qui feront l’objet de recherches plus poussées, l’équipe du chercheur utilise un imageur financé par la FCI pour observer si les cellules humaines changent de forme après une exposition à des extraits de plantes.
« Si les cellules cancéreuses s’arrondissent, il est possible que l’on soit en présence d’une plante qui empêche les cellules cancéreuses de se diviser et que son étude présente un intérêt médical, » explique-t-il.
« Au moyen de l’imageur, il est également possible de détecter assez facilement les vésicules, notamment celles des cellules cancéreuses des os et du cerveau, une découverte qui revêt aussi une importance médicale et qui a débouché sur le projet de Haley. »
Cette même approche a permis de détecter des produits naturels aux propriétés médicinales extraits du thermopsis rhombifolié (Thermopsis rhombifolia), de la gaillarde aristée (Gaillardia aristata) et de la symphorine de l’Ouest (Symphoricarpos occidentalis).
M. Golsteyn espère continuer à élargir le partenariat du programme avec la Confédération des Pieds-Noirs. « Nous essayons d’ouvrir un peu plus nos portes aux membres de la communauté des Pieds-Noirs, notamment aux enfants qui ont un intérêt pour la science et le savoir traditionnel. Cette dimension est vraiment importante. »
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