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La mauvaise qualité de l’air nous rend-elle malades?

L’air que nous respirons contient des milliers de produits chimiques naturels et synthétiques. Joseph Okeme cible ceux qui engendrent des maladies chroniques.
Par
Julie Stauffer
Établissement(s)
McMaster University
Province(s)
Ontario
Sujet(s)
Chimie
Chimie analytique

Pratiquement tout le monde connaît quelqu’un qui a sur soi un inhalateur, prend des médicaments contre l’hypertension artérielle ou qui a réduit sa consommation de hamburgers au fromage pour maintenir un bon taux de cholestérol.

Les maladies chroniques, notamment l’arthrite, le cancer, le diabète et les maladies cardiovasculaires, touchent près de la moitié de la population canadienne. Chaque année, elles tuent des centaines de milliers de personnes, minent la qualité de vie de beaucoup d’autres et coûtent à l’économie canadienne plus de 80 milliards de dollars en soins de santé.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé, près d’un quart de ces affections sont générées par des facteurs environnementaux (en anglais seulement). Joseph Okeme examine donc de près l’une de ces principales causes : la pollution de l’air.

Professeur de chimie et de biologie chimique à l’Université McMaster (en anglais seulement), il souhaite cibler les produits chimiques présents dans l’air qui nuisent à notre santé. Cette tâche comporte de nombreux défis, et ce, dès la première étape, soit celle de l’échantillonnage. « Il n’existe pas de moyens simples de mesurer cette pollution », explique-t-il.

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Trouver des solutions à un problème chronique extrêmement coûteux

Des millions de personnes au Canada sont atteintes d’une maladie chronique telle qu’une maladie cardiovasculaire, un cancer ou un diabète. Il en résulte des coûts humains considérables, des dizaines de milliards de dollars dépensés en soins de santé et des milliards d’autres en pertes de productivité. Joseph Okeme cherche à réduire ces impacts en trouvant un moyen de quantifier les produits chimiques dangereux présents dans l’air que nous respirons.

Exploiter le potentiel de l’échantillonnage d’air passif

Par le passé, les scientifiques utilisaient des méthodes d’échantillonnage actif pour mesurer les particules et autres polluants atmosphériques inhalés par l’être humain. Pour ce faire, les sujets de recherche devaient porter un appareil lourd, alimenté par des piles, qui aspirait l’air à travers un tube absorbant. Toutefois, le prix, qui varie de 2 000 à 3 000 dollars pièce, conjugué à la nature encombrante de l’équipement, sont autant de freins à la réalisation d’études à grande échelle.

Soucieux de trouver un meilleur moyen de mesurer la qualité de l’air, Joseph Okeme s’est tourné vers le domaine émergent de dispositifs portables d’échantillonnage passif. Cette approche repose sur le processus de diffusion, selon lequel les molécules se déplacent naturellement de l’air à la surface d’un dispositif portable.

Des échantillonneurs sous forme de bracelets ou de broches ont d’ores et déjà été mis au point. Malheureusement, ces deux dispositifs présentent un risque de contamination croisée. En effet, chaque fois que le bracelet effleure la surface d’une table ou que la personne qui porte la broche serre quelqu’un dans ses bras, l’échantillon est altéré.

Joseph Okeme a trouvé une meilleure solution alors qu’il discutait avec des collègues portant des lunettes autour d’une table de conférence : des lunettes à échantillonnage passif. « Bien sûr », s’est-il dit. Non seulement les lunettes seraient moins susceptibles d’être contaminées, mais l’échantillonnage réalisé près du nez et de la bouche brosserait un portrait plus précis des polluants inhalés par une personne.

Son équipe s’est donc attelée à la mise au point de prototypes. Elle a testé différentes surfaces pour déterminer le rôle de divers matériaux sur l’absorption des produits chimiques et a étalonné ces lunettes d’essai en les comparant à des échantillonneurs actifs. Joseph Okeme a également collaboré avec des collègues en ingénierie de l’Université McMaster dans le but de munir les lunettes de capteur météorologique pour la vitesse du vent, ce qui leur a permis de comprendre l’incidence de la circulation de l’air sur l’absorption des polluants.

L’équipe de Joseph Okeme est maintenant prête à recruter des volontaires pour mettre ces lunettes bon marché à l’essai. Après les avoir portées pendant une journée, les sujets n’auront qu’à essuyer les lentilles avec une lingette imbibée d’alcool, à mettre celle-ci dans une fiole et à la renvoyer par la poste au laboratoire.

« J’ai trouvé très intéressant de travailler avec des équipements variés, certains récents ou d’autres beaucoup plus anciens... Je compte bien rester dans ce domaine. »

– Parshawn Amini, Université McMaster

La capacité de détecter 1000 produits chimiques différents

Néanmoins, le suivi de l’exposition individuelle ne représente qu’une partie du problème. Reste ensuite à analyser ces échantillons. L’air peut contenir des milliers de produits chimiques (en anglais seulement), souvent à des concentrations extrêmement faibles, et la plupart d’entre eux n’ont jamais fait l’objet d’une caractérisation.

Voilà pourquoi l’acquisition d’un nouveau système de chromatographie en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse, financé par la FCI, vient changer radicalement la donne. Une fois les lingettes en sa possession, l’équipe de recherche va extraire et concentrer chaque échantillon avant de le passer dans cet appareil d’une valeur d’un million de dollars.

« Alors qu’une approche traditionnelle réalisée à l’aide d’un appareil à faible résolution permet de détecter une dizaine de produits chimiques, le système de spectrométrie de masse Orbitrap permet de cibler avec certitude un millier de produits chimiques, explique Joseph Okeme. Nous pouvons ainsi détecter et quantifier des produits chimiques présents à l’état de traces. »

En accentuant la sensibilité de l’appareil au cours du premier cycle d’analyse, les algorithmes peuvent détecter lesquels des composés pouvant se révéler intéressants sont présents. Ces algorithmes vont ensuite augmenter la résolution de l’Orbitrap afin de comparer l’échantillon à des quantités normalisées de ces produits chimiques, ce qui permet de confirmer leur présence et de mesurer la quantité exacte de chacun d’entre eux.

« Comme l’Orbitrap a la capacité d’effectuer cette "cartographie" à l’aide de l’apprentissage automatique, nous pourrions potentiellement faire des découvertes auxquelles nous n’avions pas songé, explique Parshawn Amini, étudiant à la maîtrise au sein du laboratoire de Joseph Okeme. Nous pouvons également consulter des données antérieures et découvrir quelque chose qui nous a échappé auparavant. »

Un simple échantillonnage au service d’une analyse approfondie

Grâce à la simplicité et au prix abordable de ces lunettes à échantillonnage passif, conjuguées à une analyse à haute résolution, nous pouvons désormais mieux cerner les produits chimiques que nous respirons au quotidien.

Ainsi, l’équipe de recherche peut ratisser large et détecter des polluants dangereux qui passaient auparavant sous le radar et, ce faisant, réaliser une analyse approfondie, notamment en quantifiant l’exposition aux produits chimiques problématiques et en déterminant dans quelle mesure celle-ci varie en fonction du lieu de résidence, du lieu de travail et d’autres facteurs socioéconomiques.

Ces données permettront aux responsables de la santé publique et des politiques de réduire certains des facteurs de risque des maladies chroniques qui représentent un coût considérable pour la population canadienne.

« L’environnement dans lequel nous vivons n’est pas sans incidence, mais nous pouvons exercer un certain contrôle sur celui-ci, souligne Parshawn Amini. C’est pourquoi il souhaite mener une carrière qui lui permettra de mettre à profit ses compétences en spectrométrie de masse afin de mieux connaître les produits chimiques auxquels nous sommes exposés, d’éclairer les politiques de santé publique et de contribuer à la santé de notre population.

Portrait de Joseph Okeme

Rares sont les laboratoires dans le monde qui ont accès au système de chromatographie en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse Orbitrap... Je suis extrêmement reconnaissant à la FCI de m’avoir offert une telle expérience. »

– Joseph Okeme, Université McMaster


Le projet de recherche présenté dans cet article est également financé par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada