En mai 2016, un feu de forêt qui faisait rage au nord de l’Alberta s’est propagé dans la forêt boréale desséchée, atteignant Fort McMurray. L’incendie a détruit des quartiers entiers et forcé l’évacuation de quelque 90 000 personnes de la ville et des environs. Il a fallu plus d’un an pour éteindre ce brasier qui a aussi gagné la Saskatchewan, consumant une superficie d’environ 600 000 hectares (un territoire plus grand que l’Île-du-Prince-Édouard) et engendrant des dommages de près de 10 milliards de dollars.
La Gendarmerie royale du Canada ignore si l’incendie, lié à l’activité humaine et qui fait toujours l’objet d’une enquête, a été déclenché intentionnellement.
C’est ce brasier ardent, conjugué à d’autres facteurs, qui a conduit à la création du Laboratoire de criminalistique de l’environnement et des incendies criminels qui vient de voir le jour à l’Université Mount Royal de Calgary (en anglais seulement). Cette installation de calibre mondial mène des enquêtes de pointe pour le compte de la police, du gouvernement et de sociétés d’assurance qui cherchent à déterminer l’origine des feux de forêt et des incendies criminels.
La chimiste Gwen O’Sullivan, qui dirige le département des sciences de la Terre et de l’environnement à l’Université Mount Royal, est à la tête de ce laboratoire d’un million de dollars. Le personnel y compilera des données pour expliquer les départs d’incendie et déterminer le type et l’origine des accélérants, ce qui contribuera au succès d’un plus grand nombre d’enquêtes menées dans le cadre de poursuites pénales. « Les progrès réalisés en chimie analytique nous permettent de faire une meilleure analyse d’éléments de preuve qui nous échappaient auparavant, mais qui sont désormais perceptibles grâce à ces nouveaux outils », explique madame O’Sullivan.
Les enquêtes en matière d’incendies criminels profitent d’un éclairage nouveau grâce à l’amélioration de la criminalistique des incendies
Grâce au financement de la FCI, le laboratoire a pu renforcer la capacité de son instrument de chromatographie en phase gazeuse multidimensionnelle. Un système robotique automatisé y est fixé pour analyser des liquides, des solides ou des gaz.
La contribution a également permis de financer un nouveau laboratoire, plus grand, de 98 mètres carrés ainsi que l’ajout d’équipements de base, mais indispensables, comme des hottes.
Tout ceci est particulièrement utile pour les sociétés d’assurance. Cela leur permet d’évaluer les demandes d’indemnisation relatives aux dégâts causés par la fumée, explique Court Sandau, collaborateur de recherche au laboratoire. Il est aussi propriétaire d’une société de conseil en chimie et en criminalistique de l’environnement établie à Calgary, qui mène toujours l’enquête concernant l’incendie de Fort McMurray.
En cas d’incendie, nous avons recours à des chiens renifleurs pour détecter l’emplacement de l’accélérant. Ensuite, nous recueillons sur le site des échantillons de matière organique aux fins d’analyse en laboratoire. Les preuves carbonisées contiennent des milliers de produits chimiques organiques, d’où la nécessité de disposer d’une technologie de pointe très sensible permettant d’isoler l’accélérant. Cette expertise est justement offerte par le laboratoire de l’université. « Il s’agit d’une technique d’analyse novatrice qui nous permet de mesurer pratiquement tous les produits chimiques organiques présents dans un échantillon », explique monsieur Sandau.
Grâce à la chromatographie, il est possible de déterminer si l’accélérant est du carburant diesel, un allume-feu ou de l’essence de densité légère, moyenne ou lourde. Il sera même possible d’en connaître la provenance. On pourra ainsi répondre à deux questions essentielles : le feu a-t-il été allumé intentionnellement? Si c’est le cas, peut-on mettre en place des mesures préventives pour empêcher que de telles infractions soient commises à l’avenir? Les échantillons de matériel et les données résultant de ces analyses approfondies seront conservés en vue d’analyses ultérieures, s’il y a lieu. Ceci revêt une importance particulière dans les affaires portées devant le tribunal.
Le laboratoire sera également en mesure de déterminer la source des déversements pétroliers. Il arrive en effet qu’un déversement se produise au carrefour de plusieurs pipelines, de sorte qu’il est difficile de désigner la société pétrolière en cause. Or, les techniques utilisées au laboratoire permettent de déterminer avec précision le pipeline responsable de la fuite à partir de l’analyse d’un échantillon du pétrole déversé, qui présente une empreinte chimique unique, explique madame O’Sullivan.
De nouveaux éléments de preuve pour élaborer une politique de gestion des incendies face à la montée des feux de forêt sous l’effet des changements climatiques
Grâce aux découvertes du laboratoire, les gouvernements pourront améliorer la gestion des feux de forêt, notamment en améliorant l’aménagement des collectivités situées dans des régions propices à ce phénomène. Les politiques seront ainsi mieux définies : faut-il ériger des pare-feu? Quelle est la superficie de végétation qui risque de servir de combustible à un incendie? Y a-t-il suffisamment de bornes d’incendie? La communication avec le public s’en trouvera également améliorée. En effet, le laboratoire sera en mesure de déterminer avec précision les substances présentes dans la fumée des feux de forêt ou des incendies criminels. Ce sont des renseignements cruciaux pour les personnes souffrant d’asthme chronique, ainsi que pour les enfants et les personnes âgées.
Il est urgent de répondre à ces questions. Rien qu’au Canada, on dénombre plus de 14 000 incendies criminels chaque année, ce qui représente un coût d’environ 500 millions de dollars pour les sociétés d’assurance, indique madame O’Sullivan. Le taux de résolution et de condamnation est élevé pour cinq pour cent des incendies ayant causé la mort. Cependant, 85 pour cent des incendies criminels causant des dommages matériels ne sont pas résolus. En ce qui concerne les feux de forêt, environ 6 000 brasiers consument entre 500 000 et 4,5 millions d’hectares chaque année. Les dommages annuels avoisinent les 265 millions de dollars pour ce qui est de la perte de récoltes et de biens. Or, l’activité humaine est responsable de 42 pour cent de ces feux de forêt, que ce soit de manière intentionnelle ou accidentelle. Selon madame O’Sullivan, le coût environnemental lié à la dévastation des écosystèmes est inestimable, d’autant plus que les changements climatiques intensifieront encore davantage les feux de forêt au cours des années à venir.
Néanmoins, certaines questions demeureront peut-être sans réponse. L’affaire de Fort McMurray ne sera pas classée avant sa résolution, soutient monsieur Sandau. En connaîtra-t-on un jour la cause? Après une si longue période, et ce, en dépit de la capacité de recherche accrue du nouveau laboratoire de criminalistique, il avoue n’être guère optimiste.