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Les protéines végétales peuvent-elles avoir meilleur goût?

Marcia English souhaite que les personnes qui consomment des protéines de légumineuses profitent de tous les bienfaits de celles-ci sans subir le goût de haricot. Une bonne nouvelle pour le secteur canadien des légumineuses, qui pèse 6,3 milliards de dollars.
Par
Julie Stauffer
Établissement(s)
St. Francis Xavier University
Province(s)
Nouvelle-Écosse
Sujet(s)
Chimie
Chimie analytique
Quatre personnes sont réunies autour d’un spectromètre de masse posé sur une table de laboratoire.

Aujourd’hui, de plus en plus de personnes se tournent vers les protéines végétales pour leur propre santé et celle de la planète. Selon un sondage (en anglais seulement) réalisé en 2023, près de 40 pour cent des Canadiennes et des Canadiens prévoient acheter des aliments à base de plantes dans les mois à venir, tandis qu’Ernst & Young estime (en anglais seulement) que le marché mondial représentera plus de 200 milliards de dollars américains d’ici 2035.

Les légumineuses cultivées au Canada, comme les pois, les lentilles, les pois chiches et les gourganes, contribuent à répondre à cette demande croissante.

Ces aliments riches en protéines contiennent plus de fibres, moins de matières grasses et moins de calories que le bœuf. La culture du haricot est également plus durable. En effet, elle émet beaucoup moins de gaz à effet de serre que celle des animaux d’élevage. Elle ne nécessite que peu ou pas d’engrais azotés et résiste à la sécheresse, un atout important alors que les changements climatiques engendrent des étés toujours plus chauds et secs.

Après leur récolte, ces cultures végétales polyvalentes peuvent être moulues en farines ou en flocons pour enrichir notamment les produits de boulangerie, les succédanés de boissons à base de produits laitiers et les galettes sans viande. Toutefois, il y a un hic : le goût.

En effet, bien que le goût de haricot soit bienvenu dans un chili ou un curry, il peut être rebutant lorsqu’il s’insinue dans des produits tels que les boissons protéinées et les pains.

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Stimuler le potentiel des légumineuses au Canada

Aujourd’hui, la production de légumineuses au Canada est en plein essor. La superficie des terres consacrées à ces cultures a augmenté de plus de 60 pour cent au cours de la dernière décennie, ce qui représente plus de 6 milliards de dollars par année et près de 26 000 emplois. En créant de nouveaux débouchés pour des produits à base de légumineuses à valeur ajoutée, Marcia English et ses collègues aident l’ensemble du secteur des légumineuses, de la production à la distribution, en passant par la transformation, à tirer parti de la demande croissante de protéines végétales.

Trouver des solutions à un problème qui touche l’ensemble du secteur

À l’Université St. Francis Xavier (en anglais seulement), des étudiantes et étudiants en sciences alimentaires de Marcia English (en anglais seulement) ont buté sur ce « goût indésirable » en voulant créer un dessert glacé à base de haricots de la Nouvelle-Écosse. La chercheuse ignorait comment l’éliminer. Elle a donc fait appel à Pulse Canada (en anglais seulement), une association nationale représentant l’ensemble du secteur des légumineuses, de la production à la commercialisation, jusqu’à la transformation. 

Elle a découvert que sa situation n’était pas unique, et que le secteur souhaitait se pencher sur ce problème. « Selon nous, il s’agit d’un élément déterminant de la croissance de ce marché », explique Tanya Der, directrice de la diversification et de l’info-marché chez Pulse Canada. « Nous ne voulons pas que ce goût rebute les personnes qui en consomment. »

À ces mots, Marcia English a dressé l’oreille. « Je me suis dit qu’il y avait là une occasion à saisir ».

Elle s’est donc mise à la recherche des « responsables ». Ainsi, elle a découvert que les enzymes naturellement présentes dans les haricots et dont le rôle est de désagréger les graisses sont à l’origine du problème. Ce processus crée des composés volatils qui agissent sur le goût et l’arôme.

Mais la solution n’est pas si simple. Puisque chaque variété de haricot se comporte différemment, une même variété peut produire une gamme d’arômes différents selon les conditions de culture et l’endroit où elle est plantée au Canada. Le goût peut également changer au cours de la transformation et du stockage. « Les aliments forment une matrice extrêmement complexe étant donné la multitude d’interactions possibles », explique Marcia English.

Il s’agit d’un élément déterminant de la croissance de ce marché. […] Nous ne voulons pas que ce goût rebute les personnes qui en consomment. »

– Tanya Der, directrice de la diversification et de l’info-marché chez Pulse Canada

Flairer des pistes de solution par rapport aux arômes indésirables

Pour comprendre ces interactions, Marcia English et son équipe de laboratoire utilisent un système de chromatographie en phase gazeuse couplé à un spectromètre de masse (GC-MS) financé par la FCI. Pour commencer, on fait chauffer de la farine de haricot afin de la faire passer à l’état gazeux. Ce gaz est ensuite acheminé dans l’appareil qui détecte les différents composés volatils présents.

Ce système est également doté d’un olfactomètre qui permet de sentir les échantillons en temps réel afin de déterminer quels composés sont associés à quels arômes. « L’empreinte chimique est excellente, mais le nez humain est en quelque sorte l’étalon-or, explique Marcia English. En combinant les deux, nous obtenons un outil très puissant. »

Toutefois, déterminer la source de ces odeurs n’est qu’une partie du casse-tête. Marcia English cherche également à savoir si le prétraitement des haricots, que ce soit par germination, trempage, fermentation ou toute autre méthode, peut réduire ou modifier la présence de composés contribuant aux arômes désagréables.

Jusqu’à présent, c’est la fermentation qui s’est avérée la méthode la plus prometteuse. Qui plus est, les bactéries lactiques utilisées dans ce processus améliorent la santé intestinale.

Trouver de nouveaux marchés pour les légumineuses du Canada

Les travaux de recherches de Marcia English vont bien au-delà de l’élimination du goût et de l’odeur indésirables présents dans les protéines des légumineuses. Son laboratoire a récemment reçu des fonds de l’institut américain Good Food (en anglais seulement) pour mettre au point des substituts végétaux aux produits de la mer. Il s’agit cette fois de trouver des ingrédients d’origine végétale afin de reproduire l’arôme du saumon de l’Atlantique, mais aussi sa texture.

Comme si le défi n’était pas assez grand, Marcia English souhaite que ce produit présente les mêmes propriétés nutritionnelles que celles du saumon. Pour ce faire, il faut obtenir le bon mélange de pois et de gourganes afin de fournir tous les acides aminés essentiels, puis y ajouter des acides gras oméga-3 d’origine végétale.

« Notre objectif est d’incorporer ces ingrédients afin que notre préparation ne soit pas un simple produit de plus, mais constitue un choix santé pour les personnes qui en consomment », précise-t-elle.

Il s’agit d’une entreprise complexe, mais la chercheuse se dit passionnée par son travail. « C’est une excellente façon d’avoir une incidence sur la nourriture qui se retrouve dans l’assiette des Canadiennes et des Canadiens. »

C’est aussi un formidable moyen de soutenir les 25 900 exploitations agricoles qui produisent des légumineuses au Canada. « La recherche est très importante, explique Tanya Der. Nous disposons aujourd’hui d’une grande capacité de production de ces ingrédients, et nous voulons maintenant nous assurer de trouver de nouveaux marchés prêts à les accueillir. »

Le portrait de Marcia English

Sans cet équipement, notre travail piétinerait. [...] Nous espérons continuer à croître et à produire de bons résultats scientifiques et de bons produits tout en élargissant notre portée, non seulement au Canada, mais aussi ailleurs dans le monde. »

– Marcia English, professeure agrégée à l’Université St. Francis Xavier


Le projet de recherche présenté dans cet article est également financé par le Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada et le Programme des chaires de recherche du Canada.