Beaucoup d’enseignants ont l’habitude d’être l’expert dans leur classe, et ce virage vers un apprentissage par investigation, centré sur l’étudiant, les obligent à échanger avec leurs élèves. Même si nous ne sommes pas totalement prêts, le processus est lancé. Il faut voir grand. Vous n’avez pas besoin de tout savoir sur toutes les sortes de technologies. Essayez une chose. Proposez-la à vos élèves et mettez le reste entre leurs mains. Ils trouveront une solution. Tant et aussi longtemps que vous vous mettez dans le rôle de l’apprenant parmi vos élèves, tout ira bien. Dites-leur simplement : « Nous y arriverons ensemble. »
Sortir des sentiers battus pour enseigner à une époque sans précédent
« Dans les premières séances, il s’agissait, pour les enseignants, de se lancer en ligne et de voir comment ils pouvaient organiser la matière pour que tout soit clair pour les élèves et éviter ainsi toute frustration. Parce que s’ils sont frustrés, c’est le décrochage assuré. »
Madame Hughes a relevé des incohérences parmi les conseils scolaires au chapitre des plateformes Web utilisées. Tout le monde s’inquiétait des questions de respect de la vie privée. C’est pourquoi la plupart des écoles ont hésité à produire des discussions vidéo avec les élèves et ont plutôt opté pour des travaux à remettre.
La chercheuse et son équipe ont donné des séances de perfectionnement professionnel en ligne pour l’enseignement supérieur, pour commencer, puis en ont parlé sur les réseaux sociaux pour le personnel enseignant de la maternelle jusqu’à la 8e année et les enseignants du secondaire de la 9e à la 12e année. La demande était volumineuse : environ 60 enseignants en une seule séance. Il a ensuite fallu limiter les séances à 30 participants et multiplier le nombre de séances pour préserver l’interactivité.
« Les premières semaines ont été plutôt techniques, explique madame Hughes. Ensuite, les enseignants se sont montrés plus intéressés et se sont demandé comment accroître la participation de leurs élèves. »
Janette Hughes dans son laboratoire de fabrication collaboratif STIAM-3D, à l’Université Ontario Tech
Avec l'aimable autorisation de Laura Dobos
Avec son équipe, elle a appris aux enseignants, et dans certains cas à des classes d’élèves, comment créer des jeux vidéo en ligne, comment s’assurer de remplir exactement les exigences du programme lorsque les élèves s’affairent sur Bloxels, une plateforme Web qui leur permet de concevoir leurs propres jeux vidéo grâce au travail d’équipe et à un codage de base.
Les séances ont été mises sur pied à partir des demandes des enseignants ; nombre d’entre eux se souciaient du respect de la vie privée dans les versions synchrones des cours (vidéos interactives). C’est pourquoi une séance a été consacrée à ce sujet.
« Si la pandémie nous a appris une chose, c’est que nous avons besoin de contacts humains et que les enfants ont besoin de voir leurs amis, même si c’est sur un écran », poursuit madame Hughes. Elle ajoute que, pour beaucoup d’élèves, l’enseignant est l’un des adultes les plus importants de leur vie.
Grâce à cet immense travail de perfectionnement professionnel, la chercheuse aide les enseignants à éviter de faire du neuf avec du vieux, cette tendance, dit-elle, qui consiste à utiliser les mêmes vieilles méthodes pédagogiques sur une plateforme technologique plutôt que d’innover et de travailler, pour améliorer l’apprentissage et la participation des élèves.
Déterminer comment l’apprentissage en ligne fera partie de la nouvelle normalité pédagogique
Avant la pandémie, Janette Hughes et son équipe avaient déjà prévu de se pencher sur l’approche résolument technologique d’un certain nombre de conseils scolaires par rapport à l’enseignement du nouveau programme de mathématiques de l’Ontario, qui, pour la première fois, intègre le codage.
Plus tôt au cours de l’année, avec l’aide de l’équipe de madame Hughes, Erica Lantin, une enseignante de 4e et de 5e année à l’école North Star d’Atikokan, en Ontario, a inscrit sa classe sur Scratch, un programme de codage qui sert à créer des histoires.
« Dès que les élèves ont su ce qu’était Scratch, ils ont voulu l’utiliser », explique madame Lantin. « Aussitôt qu’ils avaient une minute de libre, ils se sont mis à créer des histoires interactives et à coder différents personnages pour leur faire faire différentes choses ; ils me racontaient ensuite l’histoire. » Dans la classe, il y avait des « experts » qui aidaient tous ceux et celles qui en avaient besoin. L’enseignante a vu plusieurs élèves travailler ensemble.
Bien qu’elle ait poursuivi en partie cette expérience pendant la fermeture des écoles, madame Lantin cherche à intégrer un plus grand nombre d’occasions de travailler de façon collaborative pour ses élèves, en classe, cet automne.
Doter le personnel enseignant de compétences qui lui permettra de travailler en mode virtuel est essentiel, ajoute Janette Hughes, surtout parce que ce ne sont pas tous les enfants qui retourneront à l’école. En effet, plus de 13 000 élèves du conseil scolaire du district de Durham, l’un des plus grands de l’Ontario, ont indiqué qu’ils suivraient les cours en ligne.
Des moments décisifs en 2020 déterminent la façon dont les jeunes s'expriment en ligne
L’expertise de la chercheuse porte sur les approches pédagogiques pour répondre à la question : comment fonctionne l’apprentissage, plus précisément comment fonctionne-t-il avec la technologie? Ainsi, le fait que les écoles aient été catapultées dans le monde virtuel en raison de la pandémie fascine madame Hughes. Cela l’a aussi amenée à faire des recherches sur l’expression créative de soi chez les élèves en ligne, au temps de la COVID-19. Elle s’est surtout intéressée à la façon dont les adolescents façonnent leur identité dans les réseaux sociaux pendant « les deux grands événements qui ont marqué 2020 » : la pandémie et le mouvement Black Lives Matter.
Les années de recherche de madame Hughes et la façon dont elle les a appliquées avec doigté pour tirer parti de l’apprentissage numérique en période de crise lui ont également valu l’estime de l’International Science Council par le biais de la COVID Education Alliance. Ce groupe d’experts mondiaux a pour mission de cartographier au cours des 30 prochaines années, ce à quoi ressemblera l’enseignement à l’échelle de la planète autrement dit, à mesure que la pandémie continue de remanier notre façon de faire des affaires, d’être en relation les uns avec les autres et d’apprendre.
Madame Hughes rejette ceux qui complimentent sa réaction rapide vis-à-vis du perfectionnement professionnel du personnel enseignant dès que la pandémie a frappé. Elle reconnaît toutefois qu’elle aurait aussi bien pu ne pas s’en occuper.
« Mais lorsque vous avez enseigné en classe et que vous comprenez les défis en jeu, vous faites partie de cette communauté et vous voulez donner un coup de main, d’une façon ou d’une autre. »
Et comme beaucoup d’Ontariennes et d’Ontariens ayant des enfants à l’école, madame Hughes va suivre de près le déroulement de l’année scolaire dès cet automne.
« Je vois toutes ces images dépeignant la façon dont les classes sont aménagées et je trouve cela affreux! ». Elle se rappelle une photo d’une classe de l’élémentaire où l’enseignante a transformé chaque pupitre comme s’il s’agissait de camions de pompiers, avec de la peinture et du carton, protégeant l’avant et les deux côtés. « Elle essayait de rentre toute l’expérience amusante. Mais les élèves vont apprendre dans des cubicules. Ce n’est pas comme ça qu’on apprend. »