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La prochaine révolution pédagogique

Spécialiste en apprentissage en ligne et en littératie numérique, une chercheuse se trouve en première ligne au service d’un système scolaire qui s’emploie à réussir sa transition vers une nouvelle façon d'enseigner.
Par
Sarah Boesveld
Établissement(s)
University of Ontario Institute of Technology
Province(s)
Ontario
Sujet(s)
Éducation

Pour en savoir plus sur la façon dont la communauté scientifique répond à l’appel à contribution pendant la pandémie de COVID-19, suivez notre campagne vidéo #GoLaRecherche ou consultez : Le milieu de la recherche : prêt à l’action durant la pandémie de COVID-19 . Nous y démontrons comment la FCI et la communauté de la recherche qu'elle appuie, réagissent à une crise mondiale.​

Lorsque la pandémie de COVID-19 a condamné les écoles à la fermeture à l’échelle du pays et dans le monde entier, bon nombre d’enseignants ont été complètement désorientés. Comment allaient-ils finir leur programme scolaire obligatoire? Comment s’assurer que leurs élèves allaient même ouvrir leur session?

Le personnel enseignant et l’ensemble du système scolaire avaient besoin d’aide pour s’adapter à l’apprentissage en ligne. Ils avaient besoin de Janette Hughes. Et madame Hughes était prête à relever le défi.

Avec son équipe d’étudiants des cycles supérieurs, la professeure de l’Université Ontario Tech et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en technologie et pédagogie a mis sur pied ce qui est essentiellement une unité de premiers répondants à l’intention du personnel enseignant aux prises avec la nouvelle réalité pédagogique imposée par le virus.

Janette Hughes savait, à l’issue de nombreuses années de recherche sur le perfectionnement des enseignants, que ceux-ci ont besoin de moyens pour pouvoir prodiguer à leurs élèves un enseignement pratique et susciter une véritable participation de la classe.

C’est dans cette optique qu’elle et son équipe ont tenu 24 séances gratuites de perfectionnement virtuel à l’intention du personnel enseignant tout au long du printemps. Le bilan final? Six conseils scolaires, 160 enseignants et 400 étudiants ont découvert qu’il était possible, et important, de plonger dans un apprentissage immersif en mode virtuel. En fait, c’est peut-être bien la voie de l’avenir, la prochaine révolution pédagogique.

Le personnel enseignant craint que l’apprentissage en ligne n’entraîne un retour en arrière et une reprise de méthodes pédagogiques dépassées

Madame Hughes a constaté que la pandémie avait miné la confiance d’enseignants autrement fabuleux et mis en lumière la crainte que toutes les percées pédagogiques ne subissent un recul tandis que les enseignants allaient se battre pour ne pas être réduits à un rôle de « tête parlante » dans un message vidéo. Dans les premiers mois de la pandémie, elle se rappelle avoir essayé de conseiller une enseignante de 3année qui avait, elle le savait, une excellente relation avec ses élèves en classe.

« Elle m’a dit : ″Je me suis retrouvée à numériser des fiches de travail dans un manuel de mathématiques et à les leur envoyer, parce qu’il fallait bien que je leur donne quelque chose à faire″. Elle était tellement découragée qu’elle s’est mise à pleurer. »

Janette Hughes a accompagné les enseignants qui se souciaient de respect de la vie privée, de participation sociale, d’équité et d’accessibilité quand on travaille de chez soi avec un ordinateur, plutôt que dans une salle de classe avec ses pairs.

« Beaucoup de nos anciens étudiants qui avaient suivi notre programme nous ont écrit pour nous remercier de les avoir aussi bien préparés. »

Une réaction rapide grâce à des années de recherche en apprentissage numérique

Madame Hughes sait ce dont le personnel enseignant a besoin pour faire son travail, en partie parce qu’elle aussi a été enseignante, d’abord au niveau secondaire puis à l’élémentaire. Après avoir rejeté l’idée de se limiter à enseigner de façon traditionnelle, immobile devant la classe, elle a observé ses élèves se passionner pour leurs activités dans un laboratoire informatique, se livrer à des projets multimédias qui répondaient à toutes les exigences du programme alors que s’imprimait en eux la soif d’apprendre.

Janette Hughes obtient un doctorat en littératie numérique et s’intéresse à la façon dont le personnel enseignant peut aider les élèves à apprendre en ligne grâce à un processus créatif de résolution de problèmes. En 2016, elle ouvre le Laboratoire de fabrication collaboratif STIAM-3D. Celui-ci se trouve sur le campus de son université, en périphérie de Toronto et est financé par la FCI. Cet espace allait devenir sa boîte de Petri pour faire des recherches sur d’éventuels outils en littératie numérique.

La chercheuse s’est particulièrement intéressée à fournir ce type de trousses à outils au personnel enseignant, en plus de lui insuffler la confiance nécessaire pour enseigner. Elle a invité des enseignants de toute la province dans son laboratoire pour utiliser des imprimantes 3D, grâce auxquelles ils pouvaient reproduire des crânes d’oiseaux pour leur cours de sciences ou se lancer dans des inventions. Elle s’est aussi rendue dans différents conseils scolaires de la province. Résultat : les compétences en résolution de problèmes et en apprentissage social du personnel enseignant se sont bonifiées.

Quand la pandémie de COVID-19 a frappé, madame Hughes a dû fermer son laboratoire. Mais elle a immédiatement su qu’une grande part de ses recherches et de ce qu’elle y avait enseigné pourrait s’appliquer en ligne, à partir de chez soi. Elle savait qu’avec son équipe, elle détenait bon nombre des connaissances dont le personnel enseignant moins branché avait besoin

 

L’éducation STIAM, les compétences du XXIe siècle et les ateliers collaboratifs. Cette vidéo n’est disponible qu’en anglais.

Janette Hughes décrit comment ses étudiants acquièrent des compétences en créativité, en communication, en résolution de problèmes et en design dans un milieu d’apprentissage de type atelier collaboratif, comme dans son laboratoire de fabrication collaboratif STIAM-3D, financé par la FCI, sur le campus de l’Université Ontario Tech, en périphérie de Toronto.
1 minute, 41secondes
L’acronyme STIAM correspond aux mots science, technologie, ingénierie, arts et mathématiques. Pour nous, la lettre A ne représente pas seulement les beaux-arts ; elle englobe la pensée critique, la créativité, l’approche conceptuelle et l’ensemble du processus d’innovation.

On a beaucoup parlé des compétences du XXIe siècle : communications, esprit critique, créativité. Ces compétences sont extrêmement importantes dans notre société en rapide mutation, surtout en matière de progrès technologiques ; les enseignants préparent les élèves pour des emplois qui n’existent pas encore. Nous voulons que nos élèves se sentent à l’aise avec la technologie.

Les technologies que nous employons aujourd’hui seront peut-être désuètes lorsqu’ils entreront sur le marché du travail, mais ils auront acquis des compétences transférables et sauront comment résoudre un problème quand quelque chose ne fonctionne pas comme prévu et repartir à zéro. 

Beaucoup d’enseignants ont l’habitude d’être l’expert dans leur classe, et ce virage vers un apprentissage par investigation, centré sur l’étudiant, les obligent à échanger avec leurs élèves. Même si nous ne sommes pas totalement prêts, le processus est lancé. Il faut voir grand.  Vous n’avez pas besoin de tout savoir sur toutes les sortes de technologies. Essayez une chose. Proposez-la à vos élèves et mettez le reste entre leurs mains. Ils trouveront une solution. Tant et aussi longtemps que vous vous mettez dans le rôle de l’apprenant parmi vos élèves, tout ira bien. Dites-leur simplement : « Nous y arriverons ensemble. »

Sortir des sentiers battus pour enseigner à une époque sans précédent

« Dans les premières séances, il s’agissait, pour les enseignants, de se lancer en ligne et de voir comment ils pouvaient organiser la matière pour que tout soit clair pour les élèves et éviter ainsi toute frustration. Parce que s’ils sont frustrés, c’est le décrochage assuré. »

Madame Hughes a relevé des incohérences parmi les conseils scolaires au chapitre des plateformes Web utilisées. Tout le monde s’inquiétait des questions de respect de la vie privée. C’est pourquoi la plupart des écoles ont hésité à produire des discussions vidéo avec les élèves et ont plutôt opté pour des travaux à remettre.

La chercheuse et son équipe ont donné des séances de perfectionnement professionnel en ligne pour l’enseignement supérieur, pour commencer, puis en ont parlé sur les réseaux sociaux pour le personnel enseignant de la maternelle jusqu’à la 8e année et les enseignants du secondaire de la 9e à la 12e année. La demande était volumineuse : environ 60 enseignants en une seule séance. Il a ensuite fallu limiter les séances à 30 participants et multiplier le nombre de séances pour préserver l’interactivité.

« Les premières semaines ont été plutôt techniques, explique madame Hughes. Ensuite, les enseignants se sont montrés plus intéressés et se sont demandé comment accroître la participation de leurs élèves. »

Janette Hughes seated at a wooden table with a coffee cup

Janette Hughes dans son laboratoire de fabrication collaboratif STIAM-3D, à l’Université Ontario Tech
Avec l'aimable autorisation de Laura Dobos

 

Avec son équipe, elle a appris aux enseignants, et dans certains cas à des classes d’élèves, comment créer des jeux vidéo en ligne, comment s’assurer de remplir exactement les exigences du programme lorsque les élèves s’affairent sur Bloxels, une plateforme Web qui leur permet de concevoir leurs propres jeux vidéo grâce au travail d’équipe et à un codage de base.

Les séances ont été mises sur pied à partir des demandes des enseignants ; nombre d’entre eux se souciaient du respect de la vie privée dans les versions synchrones des cours (vidéos interactives). C’est pourquoi une séance a été consacrée à ce sujet.

« Si la pandémie nous a appris une chose, c’est que nous avons besoin de contacts humains et que les enfants ont besoin de voir leurs amis, même si c’est sur un écran », poursuit madame Hughes. Elle ajoute que, pour beaucoup d’élèves, l’enseignant est l’un des adultes les plus importants de leur vie.

Grâce à cet immense travail de perfectionnement professionnel, la chercheuse aide les enseignants à éviter de faire du neuf avec du vieux, cette tendance, dit-elle, qui consiste à utiliser les mêmes vieilles méthodes pédagogiques sur une plateforme technologique plutôt que d’innover et de travailler, pour améliorer l’apprentissage et la participation des élèves.

Déterminer comment l’apprentissage en ligne fera partie de la nouvelle normalité pédagogique

Avant la pandémie, Janette Hughes et son équipe avaient déjà prévu de se pencher sur l’approche résolument technologique d’un certain nombre de conseils scolaires par rapport à l’enseignement du nouveau programme de mathématiques de l’Ontario, qui, pour la première fois, intègre le codage.

Plus tôt au cours de l’année, avec l’aide de l’équipe de madame Hughes, Erica Lantin, une enseignante de 4e et de 5e année à l’école North Star d’Atikokan, en Ontario, a inscrit sa classe sur Scratch, un programme de codage qui sert à créer des histoires.

« Dès que les élèves ont su ce qu’était Scratch, ils ont voulu l’utiliser », explique madame Lantin. « Aussitôt qu’ils avaient une minute de libre, ils se sont mis à créer des histoires interactives et à coder différents personnages pour leur faire faire différentes choses ; ils me racontaient ensuite l’histoire. » Dans la classe, il y avait des « experts » qui aidaient tous ceux et celles qui en avaient besoin. L’enseignante a vu plusieurs élèves travailler ensemble.

Bien qu’elle ait poursuivi en partie cette expérience pendant la fermeture des écoles, madame Lantin cherche à intégrer un plus grand nombre d’occasions de travailler de façon collaborative pour ses élèves, en classe, cet automne.

Doter le personnel enseignant de compétences qui lui permettra de travailler en mode virtuel est essentiel, ajoute Janette Hughes, surtout parce que ce ne sont pas tous les enfants qui retourneront à l’école. En effet, plus de 13 000 élèves du conseil scolaire du district de Durham, l’un des plus grands de l’Ontario, ont indiqué qu’ils suivraient les cours en ligne.

Des moments décisifs en 2020 déterminent la façon dont les jeunes s'expriment en ligne

L’expertise de la chercheuse porte sur les approches pédagogiques pour répondre à la question : comment fonctionne l’apprentissage, plus précisément comment fonctionne-t-il avec la technologie? Ainsi, le fait que les écoles aient été catapultées dans le monde virtuel en raison de la pandémie fascine madame Hughes. Cela l’a aussi amenée à faire des recherches sur l’expression créative de soi chez les élèves en ligne, au temps de la COVID-19. Elle s’est surtout intéressée à la façon dont les adolescents façonnent leur identité dans les réseaux sociaux pendant « les deux grands événements qui ont marqué 2020 » : la pandémie et le mouvement Black Lives Matter.

Les années de recherche de madame Hughes et la façon dont elle les a appliquées avec doigté pour tirer parti de l’apprentissage numérique en période de crise lui ont également valu l’estime de l’International Science Council par le biais de la COVID Education Alliance. Ce groupe d’experts mondiaux a pour mission de cartographier au cours des 30 prochaines années, ce à quoi ressemblera l’enseignement à l’échelle de la planète autrement dit, à mesure que la pandémie continue de remanier notre façon de faire des affaires, d’être en relation les uns avec les autres et d’apprendre.

Madame Hughes rejette ceux qui complimentent sa réaction rapide vis-à-vis du perfectionnement professionnel du personnel enseignant dès que la pandémie a frappé. Elle reconnaît toutefois qu’elle aurait aussi bien pu ne pas s’en occuper.

« Mais lorsque vous avez enseigné en classe et que vous comprenez les défis en jeu, vous faites partie de cette communauté et vous voulez donner un coup de main, d’une façon ou d’une autre. »

Et comme beaucoup d’Ontariennes et d’Ontariens ayant des enfants à l’école, madame Hughes va suivre de près le déroulement de l’année scolaire dès cet automne.

« Je vois toutes ces images dépeignant la façon dont les classes sont aménagées et je trouve cela affreux! ». Elle se rappelle une photo d’une classe de l’élémentaire où l’enseignante a transformé chaque pupitre comme s’il s’agissait de camions de pompiers, avec de la peinture et du carton, protégeant l’avant et les deux côtés. « Elle essayait de rentre toute l’expérience amusante. Mais les élèves vont apprendre dans des cubicules. Ce n’est pas comme ça qu’on apprend. »