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Un cours de théâtre source d’espoir et d’apprentissage en profondeur

Le « chaos » propre au théâtre peut-il donner aux jeunes les moyens de s’épanouir et susciter des changements radicaux devant des crises telles que l’urgence climatique? Assurément, selon les conclusions d’un projet de recherche multinational qui conjugue ethnographie, pédagogie et écriture théâtrale.
Établissement(s)
Université de Toronto
Province(s)
Ontario
Sujet(s)
Art et culture
Théâtre
Des élèves d’art dramatique en mouvement sur une scène.

Le cours d’art dramatique peut parfois sembler chaotique, rythmé par des exercices d’improvisation endiablés et de bruyantes répétitions. Mais derrière les soliloques et les jeux parfois loufoques, il y a matière à apprentissage.

« Il s'agit d’une forme particulière de chaos qui, à mon avis, permet à un grand nombre d’élèves de vivre des expériences et d’établir des liens qui se trouvent rarement dans un autre contexte scolaire », explique Kathleen Gallagher, directrice du centre d’études sur l’art dramatique, le théâtre et la performance de l’Université de Toronto et professeure à l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario (sites seulement en anglais).

Autrefois professeure d’art dramatique dans une école secondaire, elle a constaté que le théâtre permet aux élèves d’explorer diverses perspectives, de donner un sens au monde qui les entoure et de trouver des solutions à leurs inquiétudes, à leurs désirs et à leur quête identitaire. Aujourd’hui, à titre d’universitaire, elle mène des travaux de recherche qui viennent renforcer cette idée.

Le processus de création collectif au cœur des cours d’art dramatique nourrit l’espoir, la joie et la résilience

En 2014, Kathleen Gallagher a mis sur pied le projet « Espoir radical » sur cinq sites répartis dans le monde entier. Pendant cinq ans, ce projet a permis d’examiner la manière dont les cours d’art dramatique ont aidé les jeunes à relever des défis propres à un pays, tels que le retrait du Royaume-Uni de l'Union européen ou « Brexit » et les inégalités de genre en Inde, ainsi que l’ensemble des défis inhérents au passage à l’âge adulte.

Ensemble, les élèves ont monté des spectacles différents, développant ainsi leur aptitude à comprendre des perspectives variées et à se soucier d’autrui. Au cours de ce processus, les jeunes ont ainsi renforcé leur capacité à agir et à s’engager.

La chercheuse a pour sa part appris que l’espoir est un sentiment qui s’acquiert, non pas quelque chose d’inné. « C'est un exercice que nous perfectionnons au fil du temps », affirme-t-elle.

Kathleen Gallagher et son équipe se sont ensuite penchées sur la crise climatique qui constitue une source d’anxiété pour de multiples élèves participant au projet « Espoir radical ». Dans le cadre de « Citoyenneté audacieuse », un autre projet en cours, il s’agit maintenant de déterminer si l’aptitude à se soucier d’autrui, favorisée dans les cours d’art dramatique, peut s’étendre à la sphère écologique.

« Nous accordons beaucoup d’importance aux émotions des élèves au moment où ils les ressentent par rapport à la question de l’urgence climatique, car cet aspect est absent des cours de sciences, explique Christine Balt, chercheuse postdoctorale associée au projet. Le simple fait d’être ensemble et de s’interroger mutuellement sur la crise climatique, puis de porter ces mots sur scène, permet aux élèves de ressentir beaucoup moins de solitude à cet égard. »

Accepter le chaos engendré par les grands enjeux et les collaborations à multiples facettes

À l’instar de l’art dramatique, le travail de recherche est souvent complexe et chaotique. Les projets reposent essentiellement sur l’expérimentation et des questions ouvertes et générales comme « Qu’arrive-t-il si… », qui ne peuvent pas faire l’objet d’interprétations simplistes. Ils confrontent des réalités du nord et du sud de la planète, mettant l’accent sur la création commune et estompant la frontière entre les personnes qui mènent la recherche et celles qui en font l’objet.

On a même fait appel à un dramaturge professionnel, Andrew Kushnir, qui produit des pièces de « théâtre verbatim » à partir de transcriptions d’entrevues réalisées auprès des élèves et de rencontres survenues dans le cadre du cours d’art dramatique.

« Nous considérons chaque atelier ou cours comme un laboratoire, explique Christine Balt. Cette approche ouverte permet de laisser place à la complexité inhérente à ces espaces, ce qui est rarement le cas dans le domaine de la recherche. C’est d’ailleurs ce qui rend ces échanges aussi passionnants qu’essentiels. »

Ce qui ne signifie pas pour autant que la recherche manque de rigueur. Au contraire, l’équipe a recours à l’analyse ethnographique pour comprendre les interactions complexes qui ont lieu au sein des cours d’art dramatique, en s’appuyant sur des entretiens et des centaines d’heures de séquences vidéo.

Ce projet n’aurait pu voir le jour sans l’équipement financé par la FCI, notamment des microphones, des caméras, des tablettes, des ordinateurs et des logiciels, ainsi que l’étroite collaboration entretenue avec le service des technologies de l’information de l’Institut d’études pédagogiques de l’Ontario. Grâce à ces marques de soutien, l’équipe de recherche a pu enregistrer les activités sous de multiples angles, amener les élèves à collaborer en leur confiant des appareils d’enregistrement et effectuer le codage et l’analyse ethnographiques détaillés de ce matériel dans différentes langues.

Une bannière bleue avec le logo blanc du Navigateur d'installations de recherche sur la droite et un texte blanc sur la gauche promouvant l'inclusion de l'initiative de recherche de cette histoire dans le site web du Navigateur.

 

En outre, les chercheurs et chercheuses ont pu recueillir des renseignements que les transcriptions d’entretiens ne révèlent pas. En effet, sur des séquences filmées dans une banlieue ouvrière d’Athènes durement touchée par la crise économique qui a touché la Grèce et les mesures d’austérité qui en ont découlé, Christine Balt a observé des élèves en train de faire la roue pendant la pause. « Ce fut une expérience extrêmement puissante d’être témoin de cette scène enregistrée sur une vidéo, dit-elle. Cela démontre que le club d’art dramatique a su créer un espace de joie et de jeu absent dans les autres cours.

Des changements spectaculaires, tant dans l’équipe de recherche, le personnel enseignant que les élèves eux-mêmes

Portrait de Kathleen Gallagher.

Kathleen Gallagher estime que les méthodologies mises au point dans le cadre des projets « Espoir radical » et « Citoyenneté audacieuse » ont eu une incidence sur le parcours de dizaines d’étudiantes et étudiants des cycles supérieurs. « Je dirais même que notre travail de collaboration incitera des chercheurs et des chercheuses à apporter des changements radicaux à leur propre domaine de recherche, en raison de cette immersion précoce dans une approche du développement qui est véritablement inhabituelle », prédit-elle.

Par ailleurs, les résultats de ses travaux de recherche sur l’espoir, la collaboration et l’engagement citoyen montrent que l’art dramatique ne se limite pas à enfiler des costumes et à jouer (même si cet aspect est tout aussi valable). Il s’agit également de favoriser la prise de risque et la découverte de perspectives et de possibilités diverses.

La chercheuse ne se contente pas de communiquer ces conclusions dans des revues universitaires. Elle les transforme également en outils pratiques afin d’aider les personnes qui enseignent l’art dramatique dans les écoles secondaires (lesquelles sont généralement submergées de travail), à avoir une plus grande incidence sur la vie des élèves.

« Je suis convaincue que ces travaux peuvent et doivent modifier notre manière d’enseigner, dit-elle. Je consacre beaucoup d’énergie au transfert des connaissances parce que je sens que cela peut changer des vies : la vie du personnel enseignant, mais aussi celle des élèves. »

 

« Le soutien de la FCI et la technologie mise en place au fil des ans, nous ont permis d’adopter une approche plus interdisciplinaire. » – Kathleen Gallagher