Au sous-sol de l’hôpital Royal Victoria de Montréal, des chercheurs et chercheuses de l’Université McGill ont mis au jour un système de ventilation datant de 130 ans qui constitue un des premiers modèles de récupération de la chaleur. La conception de ce système pourrait permettre de réduire les coûts et les émissions liés au chauffage des maisons et des bâtiments modernes.
À la fin du XIXe siècle, la circulation de l’air dans les bâtiments reposait entièrement sur la montée naturelle de l’air chaud : au fur et à mesure que l’air chaud s’élevait par les cheminées ou les bouches d’aération aux étages supérieurs, de l’air frais et renouvelé était entraîné à sa suite. Ces systèmes passifs se montrent étonnamment complexes; ils reposent sur une disposition judicieuse des fenêtres, des portes, des bouches d’aération et des cheminées, de manière à optimiser la circulation de l’air.
Le système de l’hôpital Royal Victoria, par exemple, comportait une cheminée de sept étages reliée à une chaudière installée au sous-sol. L’air y était chauffé de manière à ce qu’en s’élevant, il circule dans l’ensemble des services de l’hôpital et le reste du bâtiment.
« Chauffé à 100 degrés Celsius, l’air qui s’élève dans un conduit de cheminée de près de 30 mètres possède une force motrice extrêmement puissante », explique Anna Halepaska, doctorante en architecture à l’Université McGill, qui fait partie de l’équipe de recherche chargée d’étudier le système découvert au centre hospitalier. « Ce système fonctionne comme un ventilateur, entraînant tout ce qui se trouve derrière lui. C’est en quelque sorte un précurseur du système mécanique actuel, mais entièrement alimenté par la chaleur. »
La ventilation devient un enjeu lorsque faire la chasse à de l’air vicié obsède les esprits de l’époque
À cette époque, il était commun que les établissements publics soient dotés d’un système de ventilation. Cela est d’autant plus vrai que l’on était « absolument terrifié à l’idée de respirer de l’air vicié, en particulier dans un hôpital », explique Anna Halepaska. Mais le système de l’hôpital Royal Victoria comporte un élément inusité : un système de tubes-foyers qui renvoyait l’air chauffé vers le sous-sol.
« Nous disposons d’une magnifique série de dessins datant des années 1890 qui illustrent cette boucle de conduits encastrés dans les murs de l’hôpital, explique la chercheuse. Nous avons ainsi mis au jour ce système et cherché à comprendre pourquoi cette boucle redescendait vers le sous-sol. En effet, pourquoi tirer l’air à contre-courant de son mouvement ascendant? Or, d’après nos constatations, ce système servait à récupérer la chaleur de l’air chaud d’évacuation pour la transférer à l’air froid aspiré. Et dire que cela se passait dans les années 1890! C’est passionnant! »
L’enthousiasme d’Anna Halepaska s’explique : si la chaleur, qui serait autrement perdue, pouvait être récupérée grâce à un système passif, sans apport supplémentaire d’énergie, cette technique serait susceptible de se traduire par d’importantes innovations dans la conception de nouveaux bâtiments.
Au début du XXe siècle, avec l’avènement de l’électricité, les systèmes d’échange de chaleur passifs sont devenus désuets. Les systèmes de chauffage, de ventilation et de climatisation modernes propulsaient l’air chauffé ou refroidi à travers un réseau de conduits au moyen de ventilateurs électriques. Bien qu’énergivores, ces systèmes avaient l’avantage de maintenir la température des espaces intérieurs à un degré de confort optimal, sans égard au climat ou à la saison. Jusqu’à la crise pétrolière des années 1970, on ne se souciait guère de l’énergie dépensée pour créer ces conditions.
Or, aujourd’hui, la diminution de la consommation énergétique étant au cœur de nos préoccupations, notamment en raison des changements climatiques, les systèmes de chauffage et de climatisation passifs d’antan prennent un nouvel essor.
« Nous devons absolument trouver des solutions de remplacement au réchauffement et à la climatisation mécanique », affirme Salmaan Craig. Superviseur d’Anna Halepaska et professeur adjoint à l’École d’architecture Peter Guo-hua Fu de l’Université McGill, il fait partie de l’équipe qui a initialement mis au jour le système de l’hôpital Royal Victoria. « Alors que la planète se réchauffe, nos systèmes de climatisation actuels sont voués à produire de plus en plus d’émissions résultant de leur utilisation, de leur fabrication et des fuites de fluides réfrigérants. »
La découverte de ce système s’inscrit dans la foulée d’une étude réalisée sur l’hôpital à titre d’élément majeur de l’architecture de Montréal. En effet, Annmarie Adams, historienne de l’architecture à l’Université McGill, s’est penchée sur l’histoire de l’édifice en s’attachant à sa conception en tant qu’hôpital, à l’histoire de la médecine et à l’expérience du personnel infirmier. C’est à la suite de la publication d’un de ses articles décrivant le système de ventilation du bâtiment que Salmaan Craig a voulu en savoir plus. Autour de 2020 et 2021, il mène alors des études pour attester de la présence du système de récupération de chaleur et tenter d’en comprendre le fonctionnement. «Anna Halepaska a pris une part active à l’étude menée à l’hôpital Royal Victoria, car nous avons compris qu’il s’agissait d’une découverte majeure qui devait faire l’objet d’une documentation historique et empirique plus approfondie », explique le chercheur.
Un système de ventilation ancestral refait surface
« Nous observons un regain d’intérêt pour la ventilation naturelle et les techniques de conception du bâtiment passif, mais nous n’avons pas mis au point de tels systèmes de ventilation des bâtiments à grande échelle depuis un siècle, explique Anna Halepaska. Ce savoir-faire s’est considérablement perdu. »
Afin de trouver le moyen de faire renaître un système passif de récupération de chaleur, Anna Halepaska utilise un équipement financé par la FCI pour modéliser la circulation de l’air à l’intérieur du système d’origine de l’hôpital. Pour ce faire, elle installe des modèles analogiques sur une table antivibrations munie de lampes, de caméras et d’arrière-plans pour filmer le passage de l’air et de la chaleur à travers les modèles. Une série de capteurs mesurent la température et la vitesse de l’air, ainsi que le transfert de chaleur entre les différentes zones.
Il s’agit de « démystifier » le système en définissant un ensemble de paramètres mathématiques concernant l’emplacement des bouches d’aération et d’autres éléments. Ce modèle illustre la manière d’intégrer efficacement les principes régissant la conception du système de l’hôpital à de nouveaux bâtiments et il pourra ainsi être utilisé en architecture. Ces travaux sont financés par une bourse d’études supérieures du Canada Vanier.
L’ensemble de l’équipement utilisé par Anna Halepaska sera hébergé dans une plus grande installation de l’Université McGill, financée par la FCI, qui sera bientôt mise en service : le carrefour de recherche en architecture des bâtiments. Une équipe de recherche menée par Salmaan Craig y développera des solutions de remplacement, notamment des systèmes de climatisation, de chauffage et de ventilation passifs, ainsi que des méthodes visant à construire des bâtiments adaptés aux changements climatiques qui pourront également servir de puits de carbone.
Le passé au service de la ventilation de demain
Pour mieux comprendre l’origine de l’ancien système de l’hôpital Royal Victoria, le groupe de recherche de l’Université McGill, collabore avec Annmarie Adams, en vue de conjuguer recherches techniques et historiques.
Pour ce faire, il a fallu décortiquer la correspondance entre des experts de Montréal, des membres du conseil d’administration de l’hôpital et Henry Saxon Snell, architecte de renom spécialisé dans les établissements de santé, qui résidait alors en Angleterre. Ces lettres ont apporté à la fois un précieux éclairage technique et une dimension ludique à la recherche de madame Halepaska.
« C’est une des rares occasions qui m’aient été données de travailler avec des documents d’archives de première main, confie-t-elle. J’ai trouvé fascinant d’examiner les dessins, de lire les lettres et de mener l’enquête pour brosser le portrait des personnes à l’origine de ce système historique. »
Les lettres, qualifiées par madame Halepaska comme étant « d’une extrême politesse, mais également très accusatrices », esquissent un tableau « tout à fait amusant » de la société victorienne.
Par exemple, en février 1891, John J.C. Abbott, alors président du conseil d'administration de l'hôpital et plus tard Premier ministre du Canada, écrit à Sir George Stephen, cofondateur de l'hôpital, premier président du Chemin de fer Canadien Pacifique et homme d'affaires influent à l'époque. Ses commentaires se révèlent particulièrement ironiques dans la mesure où ils ne laissent en aucun cas présager que le système de récupération de la chaleur de la ventilation puisse avoir la moindre importance un siècle plus tard. « Il [Henry Saxon Snell] semble totalement dénué de bon sens, aussi talentueux soit-il pour concevoir des hôpitaux... Il n’a été d’aucune utilité pour ce qui est de la conception du système de chauffage et de ventilation. »