La baie d’Hudson, considérée comme une mer marginale de l’océan Arctique, évolue rapidement. La fonte de la glace de mer perturbe les itinéraires traditionnels de déplacement et de chasse des collectivités environnantes, qui constatent l’apparition de nouveaux poissons et mammifères marins dans cet habitat. La population s’inquiète également d’une augmentation du transport maritime et de l’exploration.
Une étude approfondie de cet écosystème fournira sans doute des réponses précieuses, non seulement pour intervenir localement, mais aussi pour comprendre ce qu’un réchauffement climatique signifierait pour la planète, explique David Barber, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en science du système arctique au Centre des sciences de l’observation de la Terre (CEOS) de l’Université du Manitoba.
L’étude de « l’environnement changeant de la glace de mer nécessite des installations, des techniques et des approches novatrices », explique le chercheur, qui dirige le nouvel observatoire marin de Churchill (CMO). « Cette installation est à côté du seul port en eau profonde de l’Arctique au Canada, ce qui offrira aux chercheurs et chercheuses un accès inégalé à la vie marine et arctique. Notre groupe cherche à comprendre le troisième océan du Canada, souvent négligé. Comment le gère-t-on? Comment se préparer aux changements qu’il subit? Comment mettre en place nos politiques et procédures? »
Gary Stern, coprésident du conseil d’administration de l’observatoire marin de Churchill et responsable du projet de génomique microbienne pour la préparation aux déversements d'hydrocarbures dans l'Arctique canadien intitulé « GENICE », étudie le transport des contaminants dans les écosystèmes marins et d’eau douce de l’Arctique. « Plus la glace de mer fond, plus il y a de circulation maritime, affirme-t-il. Cette activité commerciale, qui met le réseau trophique marin à risque, par exemple à cause du bruit des navires et des éventuels déversements de pétrole, préoccupe la population locale. »
La récupération mécanique du pétrole, sans doute efficace dans les régions plus chaudes, est entravée par la présence de glace de mer. Gary Stern étudie donc d’autres techniques qui tiennent compte du changement de température de la glace en fonction de la saison et du potentiel de dégradation microbienne.
« Nous voulons étudier les microbes en présence et les types de glace où ils prédominent, ainsi que les conditions idéales dans lesquelles ces microbes pourront dégrader le pétrole », explique-t-il.
Les recherches fourniront des réponses indispensables aux instances de réglementation, aux compagnies maritimes et aux populations locales, estime Feiyue Wang, professeur et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en chimie de l’environnement arctique au Centre des sciences de l’observation de la Terre.
« L’Arctique étant de plus en plus accessible, tant pour le transport maritime que pour le développement de ressources, nous sommes à la fois confrontés à des menaces imminentes, et à des possibilités à exploiter, précise-t-il. Les communautés s’intéressent aux développements qui pourraient améliorer leur situation socioéconomique, mais les changements sont si rapides que bien des gens s’inquiètent des conséquences de ces changements sur le mode de vie des populations. »
Le Mésocosme océan-glace de l’observatoire marin de Churchill fournira des réponses sur diverses techniques (détection, devenir, modélisation, réaction) associées au pétrole brut et à d’autres contaminants liés au transport, ajoute le chercheur. « [Le Mésocosme océan-glace] se compose de deux piscines extérieures couvertes pouvant accueillir des expériences contrôlées sur divers scénarios susceptibles de toucher les milieux marins et d’eau douce. Nous pouvons pomper l’eau de sources environnantes dans les réservoirs et ainsi imiter des expériences sur le terrain, mais avec un meilleur contrôle. »
Les chercheurs et chercheuses obtiennent ainsi des données sur les processus géophysiques et biogéochimiques à travers l’interface océan-glace de mer-atmosphère et en couplant eau douce et eau de mer. Selon M. Wang, ces études stimuleront « le développement de nouvelles technologies qui nous aideront à régler certains problèmes ».
Outre le Centre des sciences de l’observation de la Terre, l’observatoire marin de Churchill dispose d’un « système d’observation de l’environnement (EO) qui consiste en une série d’instruments automatisés situés dans la baie d’Hudson, explique David Barber. Ces instruments nous fournissent des données en temps réel et nous permettent de surveiller les changements à mesure qu’ils se produisent. De plus, ils permettent de définir les conditions de nos expériences au Centre des sciences de l’observation de la Terre. »
Conçu pour fonctionner pendant environ 50 ans, le système d’observation de l’environnement accumulera une quantité importante de données à propos de « l’incidence humaine sur le milieu, y compris ce qui se passe lors d’un déversement d’hydrocarbures ou d’autres contaminants, explique M. Barber. Il nous permettra également d’étudier les effets des conditions météorologiques extrêmes et des changements climatiques à l’échelle régionale et nationale. »
En tant que scientifique en chef du système d’observation de l’environnement, M. Mundy souligne l’importance de la recherche océanographique dans le Nord canadien, qui s’appuie sur les données provenant d’instruments automatisés et du navire océanographique (NO) William Kennedy, premier navire canadien du genre à être exclusivement dédié à cette région. Exploité en partenariat avec la Fondation pour la recherche dans l’Arctique en été, ce navire a rendu possibles un certain nombre d’initiatives, notamment des projets dans les collectivités de la baie d’Hudson.
Un changement d’orientation des eaux profondes vers les zones côtières a révélé que la région était plus productive qu’on le pensait, explique M. Mundy, qui étudie le phytoplancton, les algues des glaces et le varech. « Une production considérable nourrit la vie marine. On estime la population estivale à plus de 50 000 bélugas dans le sud-ouest de la baie d’Hudson seulement, et la baie abrite d’autres mammifères marins comme l’ours polaire, la baleine boréale, des phoques et des morses. »
Mais quels sont les effets des changements climatiques sur les espèces adaptées à l’eau froide? C.J. Mundy pense qu’elles subiront la pression des nouveaux arrivants dans la région, car l’augmentation de la température et la diminution de la glace de mer pourraient entraîner un changement dans les régimes de production saisonniers, au détriment des espèces marines arctiques hautement adaptées. « De nouvelles données nous aideront à comprendre le fonctionnement de ce système, dit-il, et ce qui risque de se produire au fil des variations de température. »
Les implications de ce type de recherche vont bien au-delà des populations de la baie d’Hudson, estime David Barber. « L’observatoire marin de Churchill s’intéresse en particulier aux changements climatiques et aux liens entre ces changements (si évidents dans le Nord) et ce qui se passe sur la planète. Une meilleure compréhension nous aidera à informer le public et, espérons-le, à orienter les pratiques et les politiques de l’industrie vers de meilleurs résultats. »
Cet article fut publié à l'origine le vendredi 19 novembre 2021, dans le cadre d’un dossier spécial du Globe and Mail pour souligner l’excellence en recherche et en innovation ainsi que le 25e anniversaire de la FCI.