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Une nouvelle normalité pour les jeunes LGBTQ+

La chercheuse Shelley L. Craig défend les droits des jeunes LGBTQ+ depuis des décennies. Ses recherches montrent que les médias sociaux représentent une bouée de sauvetage pour les jeunes queers.
Par
Roberta Staley
Établissement(s)
Université de Toronto
Province(s)
Ontario
Sujet(s)
Travail social
La chercheuse principale de l'article pose avec une mascotte sur un terrain de baseball.

En tant que coprésidente de la WorldPride 2014, un rendez-vous international qui vise à augmenter la sensibilisation aux enjeux touchant les personnes lesbiennes, gaies, bisexuelles, transgenres et queers, Shelley Craig a lancé la première balle lors d’un match des Blue Jays à l’occasion de la Fierté gaie de Toronto.

Avec l’aimable autorisation des Blue Jays de Toronto

Quand on pense au « continuum de soins », les jeux et les vidéos en ligne ne viennent pas en premier à l’esprit. Or, selon Shelley L. Craig, qui a établi un tel continuum afin d’assurer un soutien intégré hors ligne, ces éléments font tous partie d’une vaste gamme d’initiatives qu’elle contribue à créer pour aider les jeunes LGBTQ+ à se frayer un chemin sur le sentier difficile et parfois tortueux qui mène à l’âge adulte lorsqu’on est queer.

Professeure et chercheuse à la Faculté de travail social Factor-Inwentash, madame Craig est également titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les jeunes des minorités sexuelles et de genre à l’Université de Toronto (en anglais seulement). En 2019, elle a entrepris une initiative réunissant 40 partenaires universitaires internationaux menant un éventail de projets régionaux et internationaux qui s’inscrivent dans le cadre de l’initiative de partenariat international pour la résilience des jeunes queers, ou INQYR (en anglais seulement).

Cette initiative prévue durer sept ans a reçu en 2017 une subvention de 2,5 millions de dollars du Conseil de recherches en sciences humaines du Canada. En février 2020, la FCI lui a versé 80 000 dollars pour financer la mise sur pied d’un laboratoire multimédia de résilience numérique qui comprendra un ordinateur à haute performance, des caméras vidéo et des logiciels de montage.

Grâce à cette technologie, explique la chercheuse, le laboratoire crée des « produits de renforcement de la résilience » afin de proposer aux jeunes LGBTQ+ des outils pour améliorer leur bien-être et renforcer la défense des droits de ces communautés dans leurs collectivités. Il peut s’agir simplement de vidéos présentant de jeunes queers racontant leur propre histoire, de jeux qui permettent d’apprendre des techniques d’adaptation ou d’infographies qui contribuent à la promotion d’une alliance entre les personnes homosexuelles et hétérosexuelles à l’école. Certains outils sont toutefois plus complexes, par exemple un robot de « chat » doté d’une intelligence artificielle conçu pour les jeunes LGBTQ+.

Les ressources en ligne pour les jeunes LGBTQ+ répondent à un besoin important, affirme madame Craig, surtout en raison de l’insuffisance des services hors ligne et de l’incertitude créée par une pandémie qui les prive d’un grand nombre de leurs systèmes de soutien et de leurs mécanismes d’adaptation habituels. « Les jeunes LGBTQ+ se connectent en ligne, créent des communautés et renforcent leur résilience, ce qui a une incidence positive sur leur santé mentale et leur bien-être. »

Une bannière bleue avec le logo blanc du Navigateur d'installations de recherche sur la droite et un texte blanc sur la gauche promouvant l'inclusion de l'initiative de recherche de cette histoire dans le site web du Navigateur.

Une carrière universitaire axée sur l’amélioration de la situation des jeunes LGBTQ+

La défense des droits à laquelle se livre Shelley Craig est le fruit d’une carrière universitaire en travail social qu’elle décrit comme une « combinaison entre la volonté d’aider les personnes dans leurs collectivités, la défense des droits en leur nom et à leurs côtés et la lutte pour améliorer leur situation dans les systèmes qui sont les leurs. »

Issue d’une famille ontarienne modeste, madame Craig a toujours été tenue de travailler à plein temps tout en faisant ses études de premier et de deuxième cycles aux États-Unis. Elle a ainsi œuvré dans des milieux connexes à ses études, tels que les services d’urgence hospitaliers et une maison d’hébergement venant en aide aux survivants de violence familiale. C’est en 1998, devenue alors directrice d’une organisation de soutien aux jeunes LGBTQ+, que la chercheuse prend vivement conscience du manque criant de ressources pour cette cohorte – et qu’elle décide d’agir pour y remédier.

Ce qu’ont en commun les jeunes LGBTQ+ et les victimes de violence familiale

Écoutez Shelley Craig décrire la manière dont son expérience en tant que responsable des cas dans une maison d’hébergement pour victimes de violence familiale l’a aidée à défendre les droits des jeunes LGBTQ+ à la fin des années 1990​
Durée de l’enregistrement: 2 minutes, 20 secondes

Enregistrement uniquement disponible en anglais (voir traduction de la transcription ci-dessous)

[CRAIG]Je dois dire que le travail auprès des victimes de violence familiale dans une maison d’hébergement et celui auprès des jeunes LGBT est similaire, car un grand nombre de ces jeunes ont été victimes de violence, en particulier de discrimination et de maltraitance, et sont beaucoup plus à risque de vivre toutes sortes d’expériences négatives pendant l’enfance.

Et même si à cette époque on ne disposait pas de données complètes, on avait les données fondées sur la pratique et les renseignements cliniques. Et c’est comme ça que je me suis mise à penser en termes de sécurité et de protection et que ce bagage ne m’a plus quittée.

Mais ce qui était différent dans mon travail avec les jeunes LGBT, c’est que lorsque j’expliquais que je travaillais auprès de femmes qui avaient été maltraitées par leurs partenaires et que je parlais de ce que je faisais à la maison d’hébergement, on s’entendait généralement pour dire que c’était une situation inacceptable. Mais lorsque j’ai commencé à travailler auprès des jeunes LGBT, en 1998, je devais faire valoir que ces jeunes avaient le droit de se sentir en sécurité et ne méritaient pas de se faire tabasser, qu’ils n’avaient pas couru après et qu’ils n'avaient pas à être comme tout le monde.

La chose était intéressante. Au moins ‒ et ça n’améliore pas vraiment la situation ‒ mais, au moins, il existait une sorte de norme sociale selon laquelle la violence familiale était quelque chose de tabou qui ne devrait pas se produire, même si c’est le cas. À cette époque, c’était une idée répandue que « Oh, vous savez, ces enfants LGBT ‒ qu’on appelait simplement des enfants gais à ce moment-là ‒ sont probablement mieux morts que vivants » ou, ce que les parents disaient souvent aux enfants, « J’aurais préféré que tu sois un assassin plutôt qu’un homosexuel. » Et leurs parents les mettaient continuellement à la porte, et moi, j’essayais constamment de les aider à trouver un endroit sûr où habiter. Il y a donc des points communs que j’ai conservés dans ma pratique. Et puis il y a eu encore d’autres points communs : la défense des droits, pour laquelle j’ai dû continuer à approfondir mes compétences afin de représenter et de soutenir activement les jeunes auprès desquels j’avais la chance de travailler.

Les jeunes LGBTQ+ sont vulnérables à la violence

Shelley Craig affirme que c’est la vulnérabilité des jeunes LGBTQ+ face à l’itinérance et à la violence qui l’a amenée à se pencher sur la manière dont les jeunes queers créent leurs propres structures de soutien social, ce qui constitue le fondement de l’INQYR.

Le groupe international de chercheurs qui s’est joint à elle a commencé à étudier la manière dont les jeunes LGBTQ+ utilisent les technologies de communication pour favoriser leur santé mentale et leur bien-être.

Les personnes LGBTQ+, de l’enfance au début de l’âge adulte, « se sentent souvent plus en sécurité en ligne, explique la chercheuse. Elles traversent tout un processus de développement en ligne, expérimentant diverses identités et construisant des réseaux. Pour beaucoup, le soutien et les liens d’amitié les plus précieux se trouvent sur le Web, ce qui a une incidence directe et positive sur la santé mentale et la résilience. Et cela est loin d’être négligeable étant donné le peu de services qui leur sont destinés dans la plupart des régions du Canada. »

Les téléphones intelligents et les réseaux sociaux peuvent constituer des bouées de sauvetage pour les jeunes LGBTQ+

Écoutez Shelley Craig décrire la manière dont les moyens de communication modernes sont devenus des outils essentiels pour aider les jeunes LGBTQ+ à trouver leur communauté d’appartenance​
Durée de l’enregistrement: 3 minutes, 34 secondes

Enregistrement uniquement disponible en anglais (voir traduction de la transcription ci-dessous)

[CRAIG] Les jeunes LGBTQ+ sont plus susceptibles que quiconque d’avoir un téléphone intelligent. Environ 95 ou 96 pour cent des jeunes LGBT en ont un. On sait, par exemple, que les jeunes sans-abri ont toujours un téléphone intelligent. Ce n’est pas forcément le dernier modèle, mais ils se rendent dans différentes organisations et différents services, comme chez Starbucks, pour se connecter au Wi-Fi. Le téléphone est donc souvent le meilleur moyen de les joindre.

On a appris d’un certain nombre de jeunes auprès desquels on a travaillé que lorsqu’ils sont déprimés ou ont des idées suicidaires, ils se connectent aux réseaux sociaux et reçoivent ainsi beaucoup d’amour et de soutien de leurs amis, ce qui les aide à se sentir mieux.

Quand ils sont en crise, les jeunes n’appellent plus un numéro d’urgence comme c’était le cas par le passé. Ils se tournent plutôt vers les médias sociaux pour obtenir de l’amour, du soutien et des conseils. Bien sûr, cela a ses limites, mais c’est une tendance intéressante.

Dans le cadre de l’étude du Conseil de recherches en sciences humaines intitulée Project #Queery, on a fait une enquête en ligne auprès d’un peu plus de 6 000 jeunes LGBT au Canada et aux États-Unis. On a entre autres appris, grâce à une récente analyse sur les jeunes transgenres ou au genre non conforme, à quel point les réseaux sociaux représentaient pour eux une véritable bouée de sauvetage. Et qu’en fait, Instagram leur avait sauvé la vie.

Bien sûr, ce n’est pas Instagram comme tel, ce sont les personnes qu’Instagram rapproche des jeunes. Des personnes qui les valorisent, leur apportent un soutien social, les aident à faire des choix et à relever les défis du quotidien, parce qu’ils en parlent sans réserve ensemble sur les réseaux sociaux dans une conversation privée ou parfois, en plus grand groupe.

En ligne, il y a un véritable esprit de coopération. Bien sûr, il y a beaucoup de points négatifs, et la plupart des recherches évoquent les multiples aspects négatifs des technologies de l’information et de la communication, en particulier pour les jeunes. Mais une des raisons pour lesquelles j’ai décidé de mener cette recherche est qu’on n’en arrive pas exactement aux mêmes conclusions dans le cas des LGBTQ.

Quand on a commencé l’étude « I will survive », ou « Je survivrai », je pense que c’était en 2010, et qu’on a essayé de comprendre comment le fait de recevoir un grand nombre de messages sur les réseaux influençait les jeunes LGBT, c’était déjà très différent à l’époque. On avait bien sûr des téléphones intelligents, mais ils n’étaient pas aussi omniprésents qu’aujourd’hui. Et même à ce moment-là, les jeunes percevaient les médias comme une conversation à sens unique, non? Ils étaient donc essentiellement des consommateurs de médias. Depuis, les jeunes en sont venus à participer à la conversation et à devenir des producteurs de même que des consommateurs. Ils sont maintenant capables de façonner les messages qu’ils entendent et d’y répondre, mais aussi de créer leurs propres messages.

Un effort international pour défendre les droits des jeunes LGBTQ+

Doctorant à l’Université de Toronto, Andrew Eaton, le collègue de Shelley Craig, est directeur de recherche de l’INQYR et chef de projet du laboratoire multimédia de résilience numérique. Il affirme que ce projet permettra non seulement d’approfondir les connaissances sur la vie des jeunes LGBTQ+, mais aussi d’élever leur statut en matière de droits de la personne à l’échelle mondiale.

« Shelley Craig est une pionnière en matière de recherche et de droits des jeunes queers, affirme Andrew Eaton. Sa renommée et l’important financement qu’elle a obtenu pour son projet, lui ont permis d’établir des collaborations internationales avec des partenaires de recherche au Mexique, au Royaume-Uni, à Hong Kong, en Australie et aux États-Unis, ce qui va permettre d’accroître l’incidence potentielle de ses travaux de recherche. »

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Des changements significatifs sont en train de se produire en faveur des jeunes LGBTQ+ sur le plan personnel et sociétal

Shelley Craig espère que ses recherches se traduiront par des retombées sur plusieurs plans. « Il faut faire deux choses à la fois. Dans l’immédiat, il faut tout faire pour aider les jeunes à mieux gérer les facteurs de stress quotidiens associés au fait d’être un jeune queer dans la société actuelle, parce que c’est encore un véritable défi, explique-t-elle. Mais il faut du même coup modifier les structures politiques, familiales et religieuses qui peuvent entraîner des facteurs de stress supplémentaires pour les jeunes LGBTQ+. On ne peut pas se contenter de viser l’individu; il faut changer les choses pour que le monde soit meilleur dans dix ans pour les jeunes LGBTQ+ qu’il ne l’est aujourd’hui. »