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Modifier notre comportement pour contrer la crise climatique

Une équipe de recherche de l’Université de la Colombie-Britannique examine comment des personnes d’allégeances politiques diverses réagissent à la crise climatique. Elle pourrait ainsi déceler les moyens de mobiliser la population à agir en faveur du climat, et ce, malgré les divergences d’opinions
Par
Patti Ryan
Établissement(s)
The University of British Columbia
Province(s)
Colombie-Britannique
Sujet(s)
Sciences sociales
Processus cognitifs

Comme beaucoup d’entre nous, Jiaying Zhao sait pertinemment que si nous ne maîtrisons pas la crise climatique, la Terre risque d’atteindre un point de non-retour au-delà duquel des dégradations écologiques irréversibles sont à craindre. Les phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes qui ont frappé sa province natale, la Colombie-Britannique, au cours de la dernière décennie en témoignent tout particulièrement : violents feux de forêt, dôme de chaleur, tornade et rivières atmosphériques provoquant des inondations dévastatrices.

Ces phénomènes l’ont également incitée à examiner les raisons pour lesquelles, malgré les faits, certaines personnes continuent de nier l’existence des changements climatiques et la nécessité d’agir.

Selon un article (en anglais seulement) coécrit par Jiaying Zhao, plus de 97 pour cent des climatologues s’entendent pour dire que l’activité humaine contribue au réchauffement planétaire, et plus de 80 pour cent des Canadiennes et Canadiens qui s’identifient au parti libéral ne remettent pas en question ces données scientifiques. En revanche, près des deux tiers de l’électorat conservateur déclarent ne pas y croire. Jiaying Zhao, professeure de psychologie à l’Université de la Colombie-Britannique (en anglais seulement), se penche sur ce qui pourrait expliquer ce fossé et la manière de le combler.

Les théories sur les changements climatiques : un sujet polarisant

Grâce à un équipement financé par la FCI, notamment des oculomètres et des casques de réalité virtuelle, Jiaying Zhao a observé la réaction de personnes de tous horizons politiques en présence de preuves tangibles relatives aux changements climatiques. À ce jour, elle a constaté que les personnes associées au parti libéral sont nettement plus attentives à la question, tandis que les personnes affiliées au parti conservateur se montrent plus détachées et sceptiques.

Ainsi, en présence d’un graphique illustrant l’évolution de la température de la planète au fil du temps, l’électoral libéral accorde une plus grande attention à la progression de la courbe, alors que les personnes d’allégeance conservatrice se focalisent davantage sur le plateau.

Au cours d’une expérience ultérieure, Jiaying Zhao et son équipe ont coloré le graphique pour mettre en évidence soit la hausse, soit le plateau. Dans le cas où la phase ascendante était surlignée, les personnes libérales se montraient plus enclines à signer une pétition ou à faire un don à un organisme environnemental, mais les personnes conservatrices, elles, y étaient moins disposées.

Ce constat nous montre que les croyances personnelles influencent la perception des individus et orientent leurs décisions, explique Jiaying Zhao. « Chez les personnes conservatrices, la réflexion était la suivante : ne venez pas me présenter quelque chose en quoi je ne crois pas. Non seulement il est impossible de leur faire entendre raison, mais elles vont même contre-attaquer. »

D’où la nécessité d’adapter nos stratégies de communication, estime Jiaying Zhao, plutôt que de nous en remettre à une seule et même approche. « Pour les personnes conservatrices, peut-être faut-il faire passer le message par un autre canal. Ainsi, plutôt que de faire appel à du personnel de recherche ou à des scientifiques, nous pourrions avoir recours à une personne du parti conservateur ou à une autorité religieuse, quelqu’un en qui elles ont confiance, qu’elles respectent et admirent. »

Des gestes qui contribuent à notre bonheur

Jiaying Zhao souligne que le discours sur les changements climatiques est souvent dominé par la honte, la culpabilité et l’esprit de sacrifice. Certaines personnes se sentent dépassées par l’ampleur de la problématique et y réagissent en refusant d’admettre la nécessité d’agir ou en rejetant purement et simplement la science du climat.

La dissonance cognitive, soit le conflit mental qui survient lorsque nos comportements ne sont pas conformes à nos croyances, semble être en jeu. En effet, les personnes qui croient aux conclusions formulées par la science du climat, mais qui trouvent trop difficile d’effectuer des changements, vivent dans un état d’inconfort mental permanent, quoique de faible intensité. Cependant, en rejetant ces conclusions, il devient possible de produire des émissions de carbone à sa guise, et ce, sans éprouver ni dissonance cognitive ni malaise.

« Une partie de mes recherches consiste donc à me demander comment transformer la lutte contre le changement climatique en une activité gratifiante qui procure un sentiment de bonheur, explique Jiaying Zhao. Par exemple, au lieu de critiquer les automobilistes, nous pourrions mettre l’accent sur les avantages du vélo qui permet à la fois de faire de l’exercice, d’être en contact avec la nature et de réaliser des économies. »

Pour approfondir cette idée, la chercheuse s’est associée à sa collègue Elizabeth Dunn, psychologue sociale à l’Université de la Colombie-Britannique, qui mène des recherches sur le bonheur. Ensemble, elles ont mis au point Joyeux climat (en anglais seulement), un atelier en ligne gratuit qui explique comment réduire son empreinte carbone en faisant des gestes qui procurent de la joie.

Les chercheuses cherchent à déterminer si cet atelier peut entraîner un changement de comportement durable et faire évoluer les normes sociales au fur et à mesure que la population s’inspirera des comportements qui y sont présentés.

« Avec cette approche, nous examinons les changements de comportement sur le plan individuel et tentons de susciter un phénomène de mobilisation irrésistible, plutôt que de ne changer les choses qu’à l’échelon politique ou collectif, explique Elizabeth Dunn. Nous espérons observer un effet domino, puisque lorsque les individus effectuent des changements personnels pour réduire leur empreinte carbone, leur motivation à exiger l’adoption de politiques climatiques par les gouvernements, les entreprises et les institutions s’en trouve renforcée. »

En psychologie des changements climatiques, il existe six types de personnes

Pour mieux comprendre ce qui pousse divers types de personnes à agir en faveur du climat, Jiaying Zhao a proposé une approche (en anglais seulement) qui classe les individus en différents groupes conformément au cadre des six Amériques sur le réchauffement climatique (en anglais seulement) élaboré aux États-Unis par des scientifiques dans le but de communiquer des renseignements sur les changements climatiques. À gauche se trouve un groupe nommé « les vecteurs de changement ». Ces personnes, animées par des valeurs environnementales, sont le fer de lance de la lutte contre le changement climatique.

Viennent ensuite les adeptes de la première heure qui sont parmi les premiers à avoir adopté des gestes en faveur du climat (ces personnes souhaitent être reconnues comme des chefs de file), puis la majorité précoce (qui s’intéresse aux avantages personnels découlant de ce changement de comportement et qui cherche à imiter les adeptes de la première heure), la majorité tardive (qui modifiera son comportement à l’égard du climat surtout par souci d’intégration sociale) et, enfin, les « retardataires ». Les membres de ce dernier groupe ne sont pas convaincus de la nécessité d’agir en faveur du climat; ils remettent même en question l’existence des changements climatiques. Seules les conséquences sociales ou juridiques pourront les inciter à modifier leurs comportements.

Chacun des groupes est motivé par des motifs différents, mais dans la mesure où tous réagissent, il est toujours possible d’envisager un changement. Selon Jiaying Zhao, pour éviter les conséquences les plus graves des changements climatiques, les praticiens et praticiennes, les chercheurs et chercheuses et les responsables politiques doivent comprendre cette dynamique et adapter leurs interventions (en anglais seulement) en fonction de ces différents groupes cibles.