Comment le fil Facebook d’un étudiant de première année à l’université influence-t-il ses rapports sociaux et son sentiment d’appartenance? L’odeur d’un être cher peut-elle avoir un effet apaisant en situation de stress? Quelles sont les répercussions de l’utilisation des médias sociaux sur la qualité du sommeil?
Ces questions – et beaucoup d’autres – sont dans la mire du Social Health Lab de Frances Chen, professeure adjointe en psychologie à l'Université de la Colombie-Britannique.
Ses travaux explorent le carrefour entre la psychologie sociale et la psychologie de la santé, et établissent des liens entre vie sociale (y compris, de plus en plus, sa dimension virtuelle), santé mentale et santé physique.
« J’ai toujours été fascinée par la façon dont les évènements qui se produisent à l’extérieur de notre corps – des interactions avec autrui, par exemple – nous bouleversent au point d’influencer ce qui se passe à l’intérieur », explique-t-elle.
C’est justement pour répondre à ce genre de questions qu’elle a conçu son laboratoire social, le Laboratoire de santé sociale, qui est doté d’équipement de pointe lui permettant de recueillir des données d’excellente qualité sur les réactions psychologiques et physiologiques.
Une de ses études a par exemple examiné la réaction d’étudiants universitaires à différents types de contenu sur Facebook. On leur montrait de véritables profils, certains très axés sur l’aspect social (photos prises dans des contextes festifs ou de grands groupes de personnes souriantes), et d’autres, pas du tout (photos culinaires ou prises en nature). La professeure Chen et Ashley Whillans, une étudiante au doctorat du laboratoire, cherchaient à comprendre l’influence de ces profils sur le sentiment d’appartenance à l’université de la personne qui les consulte.
Conclusion? Cela dépendait du nombre d’années d’études du sujet. Les étudiants de première année se sont avérés particulièrement sensibles aux profils axés sur l’aspect social; leur sentiment d’appartenance à l’université n’était pas autant stimulé par les profils de pairs apparemment très sociables. Les étudiants plus âgés semblaient moins susceptibles de réagir ainsi.
« Les personnes qui arrivent dans un nouveau milieu social et qui tentent de déterminer où est leur place et si elles réussiront à s’y intégrer peuvent avoir des réactions différentes de celles de pairs bien établis », selon la professeure.
Vous avez l’impression que la vie sociale de vos pairs est florissante alors que la vôtre est moribonde? Frances Chen explique pourquoi cette erreur de perception est si courante.
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Que faites-vous au milieu de la nuit? Votre téléphone le sait.
Frances Chen travaille aussi avec Christine Anderl, stagiaire postdoctorale allemande arrivée au Canada l’année dernière, pour collaborer à une série d’études sur un paramètre crucial pour la santé : la qualité du sommeil. Elles espèrent que leur application mobile en développement fonctionnera comme une montre de suivi du sommeil de calibre scientifique, à une fraction du cout, ce qui ouvrirait la porte à des recherches à bien plus grande échelle.
Selon la professeure Chen, l’application enregistre « des données intéressantes que le téléphone recueille en arrière-plan de toute façon », notamment sur les mouvements et la lumière ambiante. Les deux chercheuses comparent les données recueillies par l’application et une montre de suivi du sommeil pour déterminer si l’application seule pourrait suffire à prédire la qualité du sommeil. Si c’est le cas, elles pourraient, en théorie, amasser des ensembles de données pour tous les utilisateurs de l’application afin d’étudier les tendances liées au sommeil à très grande échelle.
« Dans les faits, nous essayons de créer un algorithme pour prédire les habitudes de sommeil de façon juste. Et si nous arrivons à recueillir toute cette information à l’aide d’un téléphone intelligent, nous pourrions aussi examiner comment les gens utilisent leur appareil durant la journée ou quand ils se réveillent, et déterminer si cette utilisation a une incidence sur la qualité de leur sommeil. »
Comment votre téléphone peut-il connaitre la qualité de votre sommeil?
Découvrez-en plus à ce sujet en écoutant l’extrait suivant.
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Pour Christine Anderl, l’un des faits saillants de son expérience au Canada est l’ouverture dont fait preuve la professeure Chen pour les idées novatrices et la capacité du laboratoire à suivre le rythme de ces idées. « Très souvent, nous disposons déjà de l’équipement nécessaire pour entamer de nouvelles recherches », souligne-t-elle.
Le stress est un autre des champs de recherche de Frances Chen. Dans une étude publiée récemment en collaboration avec Marlise Hofer, étudiante au doctorat, elle s’est servie de chandails souvent portés pour étudier la réaction des sujets à l’odeur d’un être cher lors d’évènements stressants.
Écoutez la chercheuse expliquer comment elle se sert du linge sale pour étudier le stress
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Genèse d’un laboratoire unique conçu pour répondre à des questions de recherche précises
Lorsque Frances Chen a commencé à travailler à l'Université de la Colombie-Britannique en 2013, le financement de la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) lui a permis de rénover un espace pour y installer son laboratoire.
Cet espace est doté d’un laboratoire informatique, d’oculomètres et d’outils de collecte de données sur les réactions physiologiques, comme des données hormonales tirées d’échantillons de salive.
« C’est très emballant d’obtenir son premier poste comme membre du corps professoral, de pouvoir décider ce que l’on veut faire comme chercheur indépendant, d’organiser un laboratoire à sa manière et de choisir le type de questions à poser. Le financement de la FCI m’a permis de développer ma vision et de la suivre jusqu’au bout. »
Écoutez la chercheuse décrire l’organisation novatrice de son laboratoire financé par la FCI
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Une fascination qui perdure : qu’est-ce qui amènent les gens à penser, à se sentir et à se comporter d’une certaine façon?
L’aventure qui a conduite Frances Chen au Laboratoire de santé sociale a commencé dans la petite ville de Warner Robins, en Géorgie, aux États-Unis. C’est à l’école secondaire, durant un cours de psychologie, que le sujet a capté son attention et a éveillé son imagination.
« C’était la première fois que je suivais un cours dont j’avais envie de lire le manuel d’un bout à l’autre juste pour le plaisir », se remémore-t-elle.
« L’étude scientifique de l’esprit et du comportement, ça m’a semblé tellement puissant, un moyen de comprendre vraiment pourquoi les gens adoptent telle façon de penser ou d’agir, ou encore pourquoi ils ressentent les choses d’une certaine manière. »
Par la suite, elle a obtenu son diplôme de premier cycle à Harvard et son doctorat à Stanford, puis elle fait un stage postdoctoral à l’Université de Fribourg-en-Brisgau, en Allemagne.
Pendant son séjour en Allemagne, elle a commencé à chercher un poste permanent de professeure, concentrant ses recherches en Amérique du Nord.
Elle avait déjà visité le Canada quelques fois, en vacances avec sa famille ou pour participer à des congrès. « J’avais toujours aimé ce pays, mais pour être honnête, j’en connaissais assez peu la culture », admet-elle.
C’est après avoir passé son entrevue à l'Université de la Colombie-Britannique, visité la magnifique ville de Vancouver et découvert la possibilité de demander du financement à la FCI pour créer un laboratoire de pointe que Frances Chen a accepté l’offre d’emploi et s’est installée à Vancouver.
Un atout pour l’université
Directeur du département de psychologie de l’université, Geoffrey Hall, considère que la professeure Chen est une chercheuse très polyvalente, tant par ses questions que ses approches.
« Elle est un atout de taille. Nous sommes absolument ravis de l’avoir parmi nous. »
De son côté, la professeure attribue son mérite à son entourage qui l’inspire pour ses travaux novateurs et pertinents.
« Mes collègues ont toujours tant à m’apprendre; il y a toujours de nouvelles idées emballantes qui émergent. J’aime travailler dans un grand département très dynamique et en effervescence. »
Pour la professeure, Vancouver est une ville passionnante où il fait bon vivre et faire de la recherche.
« Je me sens chez moi, maintenant, à l'Université de la Colombie-Britannique et au Canada. »