Nous allons vous envoyer un courriel de confirmation. Surveillez votre boîte de réception.
Restez en contact
Pour tout savoir sur:
les programmes de financement
les publications sur la recherche de pointe
les activités... et plus encore!
Article
Le laboratoire mère de la nutrition
Kyly Whitfield de l’Université Mount Saint Vincent, à Halifax, étudie la question controversée de l’allaitement maternel au Laboratoire d’analyse du lait maternel et des micronutriments (le lab MAMA)
Par
Roberta Staley
Établissement(s)
Mount Saint Vincent University
The University of British Columbia
Il y a six ans, au début de son doctorat à l’Université de la Colombie-Britannique, Kyly Whitfield partageait un repas de riz et de poisson au Cambodge avec des collègues de l’Organisme international Helen Keller, qui lutte contre la malnutrition et la cécité dans le monde. Quelqu’un mentionna alors que le béribéri infantile était très répandu dans ce pays de l’Asie du Sud-Est.
La doctorante n’en revenait pas. Comment se faisait-il que cette maladie ancienne – causée par une carence en thiamine (vitamine B1) – existait encore?
Inquiète et curieuse, la chercheuse réorienta ses études afin de découvrir pourquoi cette maladie évitable, et souvent mortelle, sévissait toujours et de trouver des façons de la combattre.
Une malade potentiellement mortelle dont la cause est évidente
Sun Simiao, médecin chinois, a été le premier à décrire le diagnostic, le traitement et les moyens de prévention du béribéri, il y a environ 1500 ans. Depuis des siècles, cette maladie afflige l’être humain, en particulier les populations de l’Asie maritime.
Les adultes et les nourrissons ne présentent pas les mêmes symptômes. Les premiers développent une paralysie des membres inférieurs et assistent à un gonflement des tissus causé par une infiltration de liquide séreux (œdème). Les personnes gravement atteintes peuvent même en mourir.
Les vomissements, l’œdème et la respiration rapide sont de nombreux symptômes qui affligent les bébés. Ces symptômes entraînent souvent un mauvais diagnostic, augmentant les risques de mortalité, car le béribéri doit être traité rapidement, par une perfusion de thiamine pyrophosphate.
En Asie, la cause du béribéri, tant chez les adultes que chez les nourrissons, est bien connue : la consommation de riz poli, un aliment incontournable dans cette région, qui est riche en glucides, mais qui ne contient aucune thiamine. Évidemment, les nourrissons ne mangent pas de riz, mais leurs mères, oui. Elles ne transmettent donc pas aux bébés la vitamine B1 contenue dans le lait maternel. Mme Whitfield a réalisé cette découverte en analysant les niveaux de thiamine dans le sang et du lait des mères cambodgiennes.
Le riz blanc est peu nutritif, car durant le polissage, la couche de son – riche en thiamine – est retirée pour améliorer le goût et accélérer la cuisson. Le produit dérivé du polissage sert à nourrir le bétail.
[WHITFIELD] C’est drôle, parce que quand je suis allée au Cambodge pour la première fois, en 2012, je croyais qu’il suffirait d’encourager les gens à manger du riz brun, et que ça réglerait le problème. J’étais très naïve.
Il y a beaucoup de raisons, dont certaines culturelles et sociales, qui expliquent pourquoi les gens n’en mangent pas. Le riz blanc est associé à la classe supérieure de la société, un aliment prestigieux et plus goûteux. Il y a aussi des raisons pragmatiques. L’enveloppe de son du riz brun contient des acides gras. Il se conserve moins longtemps parce que les acides gras du son deviennent rances.
Il faut aussi plus d’énergie, d’eau et de temps pour le faire cuire. Dans le quotidien, ce n’est vraiment pas logique d’opter pour le riz brun. Ce sont les principales raisons.
Il y a 15 ou 20 ans, il n’y avait pas autant de cas de béribéri, parce que la majorité du riz consommé au Cambodge était poli à la main. Les gens écrasaient eux-mêmes le riz pour enlever la couche de son. Et quand on travaille à la main, le résultat n’est jamais parfait. Alors il restait toujours un peu de son dans le riz, qui contenait de la thiamine.
Mais depuis une vingtaine d’années, avec la montée de l’usinage mécanique – j’adore reconstituer le fil des événements pour trouver les causes d’un problème actuel –, les gens ne paient plus quelqu’un pour faire moudre leur riz. On leur dit plutôt : « On va usiner votre riz gratuitement, mais en échange on garde les polissures ». Et l’usine les vend ensuite comme moulée pour les porcs. C’est ainsi avantageux pour le propriétaire de l’usine de polir le riz le plus possible, pour recueillir le plus de résidus possible qu’il pourra vendre comme nourriture pour animaux.
Donc au début de l’usinage mécanique, le riz est devenu très poli; il ne restait pratiquement aucun son sur les grains de riz, parce que ce n’aurait pas été avantageux. Et c’est à ce moment-là que les cas de béribéri ont augmenté au Cambodge.
Une solution simple pour la prévention : de la sauce de poisson et du sel enrichis
Alors pourquoi les Cambodgiens n’adoptent-ils pas le riz brun au lieu du riz blanc? Pour des raisons culturelles et pragmatiques! Le riz brun est associé à la classe populaire alors que les acides gras dans le son accélèrent le rancissement. Mme Whitfield a eu l’idée d’ajouter de la thiamine à la sauce de poisson, condiment très répandu au Cambodge.
Pendant ses études, elle a mené des études randomisées auprès de trois groupes de mères allaitant au sein : deux avaient consommé une sauce de poisson enrichie de quantités de thiamine, et le troisième avait reçu un placebo.
« Dans les deux premiers groupes, le niveau de thiamine dans le lait maternel a augmenté, tout comme celui dans le sang de leur bébé. Un franc succès », explique la professeure adjointe à l’Université Mount Saint Vincent, à Halifax, où elle dirige le Laboratoire d’analyse du lait maternel et des micronutriments (MAMA). Ce laboratoire est financé par la FCI. Il relève du département de la nutrition humaine appliquée.
En poussant ses recherches, Mme Whitfield a découvert que des pays voisins comme le Myanmar et le Laos affichaient la même carence en thiamine. La sauce de poisson ne fait pas toutefois partie de leur alimentation. Il a donc fallu trouver une autre solution : le sel enrichi. La chercheuse mène des études pilotes au Cambodge avec deux étudiants de maîtrise afin de déterminer la quantité exacte de vitamine B1 à ajouter au sel pour optimiser la présence de thiamine dans le lait maternel.
Ses recherches sont révolutionnaires. Elles portent sur divers sujets entourant la question très controversée de l’allaitement maternel, notamment les normes culturelles, la mésinformation, la qualité du lait et les pratiques d’allaitement.
L’une de ces études est née d’un constat de la chercheuse. Elle avait remarqué qu’à Halifax, les mères évitaient souvent d’allaiter au sein, surtout en public. Si elles optaient pour le lait maternel, elles préféraient tirer leur lait, puis l’entreposer et l’utiliser plus tard. Or, la réfrigération ou la congélation du lait et le fait de le réchauffer et de le transférer de contenant plusieurs fois dégradent le lait et réduisent sa teneur en micronutriments et en nutriments essentiels, comme le gras.
De plus, le recours au biberon a tendance à empêcher le développement des bons signaux de satiété : les bébés nourris au biberon consomment généralement plus de lait et boivent plus rapidement, ce qui peut causer un surpoids. Cela peut notamment mener, à long terme, à l’obésité.
Un laboratoire qui fournit des données précises et capitales
Dans son laboratoire, Mme Whitfield utilise différents appareils de haute technologie pour compiler une vaste quantité de données anthropométriques (taille et poids) très précises, qui formeront une base de données pour établir, dès la petite enfance, les pratiques optimales de santé à long terme.
Par exemple, elle peut connaître le pourcentage de masse grasse d’une personne grâce à un BOD POD, un appareil en forme d’œuf qui encapsule le sujet pour mesurer sa composition corporelle. L’appareil, qui coûte 100 000 dollars et est le seul du genre au Canada Atlantique, mesure avec une très grande précision la composition corporelle, même chez les très jeunes enfants, et remplace la méthode de la pesée hydrostatique.
En plus de huit postes de traitement de données pour les étudiants, le laboratoire compte un appareil de chromatographie liquide à haute performance qui mesure des biomarqueurs, comme le niveau de thiamine dans le sang. Mme Whitfield estime que ces postes sont essentiels pour former les scientifiques et les chercheurs de demain. Le laboratoire s’est également doté d’un fauteuil spécialisé pour les prises de sang des mères et la collecte de lait maternel, ainsi que de deux tire-lait semblables à ceux des hôpitaux.
En mai dernier, la FCI a octroyé 192 986 dollars au laboratoire pour l’achat d’équipement, un investissement indispensable à la poursuite des recherches de Mme Whitfield à Halifax selon la chercheuse.
[WHITFIELD] Mon travail à l’Université Mount Saint Vincent porte sur l’alimentation sensible aux besoins de l’enfant, sur la façon de nourrir les bébés.
J’ai passé beaucoup de temps au Cambodge, où l’allaitement maternel est la norme, et à Vancouver, où il est beaucoup plus répandu qu’à Halifax. Pas autant qu’au Cambodge, c’est certain, mais il n’y a pas la même stigmatisation qu’en Nouvelle-Écosse.
Quand je suis déménagée à Halifax en 2016, durant les cinq premiers mois, je n’ai vu aucune femme allaiter au sein. J’étais vraiment étonnée que si peu de mères donnent le sein en public. Je trouvais ça très intéressant. Je savais qu’il y avait un faible taux d’allaitement maternel, mais de là à ne jamais voir personne le faire… c’était déconcertant.
Alors je me suis mise à réfléchir et à poser des questions. Pourquoi est-ce comme ça? Qu’est-ce qui se passe, au juste? Beaucoup de mères m’ont dit qu’elles tiraient leur lait. Certaines donnaient seulement des biberons de lait maternel à leur bébé. Mais, il y a une très grosse différence entre le lait frais qui sort tout chaud du sein, et le lait qui a été tiré, congelé, décongelé au frigo et réchauffé, idéalement dans un bol d’eau. Il y a même des mères qui le réchauffent parfois au micro-ondes.
Toutes ces étapes peuvent dégrader le lait et entraîner la perte de nutriments lors du transfert d’un contenant à l’autre. Une grande partie du gras reste collé sur les parois en plastique. Chaque transfert cause une perte. C’est une façon de voir les choses. D’un autre côté, le contrôle de l’allaitement au biberon est meilleur. La personne qui nourrit l’enfant, qu’il s’agisse de la mère, de la nourrice, du papa ou d’un autre parent, peu importe, contrôle l’allaitement, tout comme le fait la gravité.
Nous avons évoqué tous les bienfaits du lait maternel, de ses propriétés, mais il faut aussi penser au mode d’allaitement. Quand les bébés sont nourris au sein, ils commencent à téter et arrêtent quand ils le veulent, et souvent, les femmes respectent cela. Elles ne chronomètrent pas le temps, ne soupèsent pas leurs seins pour voir à quel point ils sont encore pleins. Elles ne font rien de ça. Mais quand on sait qu’on a mis six onces de lait dans un biberon, et qu’il en reste encore une au bout de 20 minutes, on peut avoir tendance à vouloir pousser le bébé à tout finir.
Des recherches montrent ainsi que très souvent, les bébés allaités au biberon sont nourris en plus grande quantité et plus rapidement, quel que soit le contenu du biberon. Il s’agit parfois de préparation pour nourrissons, parfois de lait maternel. À partir de là, je me suis posé tout un tas de questions. Si les mamans n’allaitent pas leur enfant au sein, quelles sont les conséquences?
Un autre point à souligner est l’abondance d’information sur l’allaitement naturel, mais la rareté des recherches et des ressources accessibles aux mamans qui souhaitent utiliser le biberon. Si on se rend dans un bureau de santé publique pour se faire expliquer comment réchauffer correctement du lait maternel, ce sera beaucoup plus difficile que d’obtenir des renseignements sur les meilleures positions d’allaitement au sein.
Je pense donc qu’il serait vraiment profitable pour les familles de la Nouvelle-Écosse, et de toutes les provinces où l’allaitement au sein est beaucoup moins la norme que dans certains pays en développement, de combler les énormes lacunes dans l’information sur ce genre de questions.
Vue d’ensemble grâce à une étude de la nutrition chez les mères et les enfants plus âgés
La prise de mesures anthropométriques précises et exactes chez les bébés et l’analyse du volume de lait consommé ne sont qu’un seul volet des activités de ses recherches. Elle prévoit entreprendre une collecte de données élargie pour suivre les bébés pendant leur petite enfance, à l’aide du BOD POD; ces données formeront un important répertoire qui facilitera les analyses et les études.
Et ce n’est pas tout : elle surveille aussi les changements dans la composition corporelle des nouvelles mères, en étudiant les différences relatives à la perte de poids chez les femmes qui allaitent au sein et celles qui ne le font pas. « Ces données vont nous donner une compréhension nouvelle de la composition corporelle, tant de la mère que du bébé, au début de la vie de l’enfant. Un projet sans précédent et très excitant, selon la chercheuse.
L’importance de la recherche indépendante
Selon Jodine Chase d’Edmonton, codirectrice de SafelyFed Canada, organisme qui milite pour l’amélioration des politiques gouvernementales en matière d’alimentation des nourrissons, ces recherches sont absolument essentielles pour donner l’heure juste aux familles sur la santé des nourrissons et des mères.
Mme Chase ajoute qu’il est tout aussi important que ces recherches soient indépendantes. Car de nos jours, la plupart des études sur l’alimentation des nourrissons sont menées et financées par des entreprises, ce qui soulève des questions d’objectivité quant aux conclusions. Qui plus est, le travail de la chercheuse fera contrepoids aux publicités des fabricants de tire-lait et de biberons, dont les nouveaux parents sont inondés. « Les entreprises exploitent l’allaitement pour convaincre de la nécessité d’acheter un produit », ajoute Mme Chase.
Alexandre Langlois est passionné par toutes les facettes de son métier. Chercheur dans le grand Nord canadien, il étudie l'endroit qui se réchauffe le plus rapidement sur la planète. Ainsi, il peut présenter des données tangibles quant aux enjeux qui nous guettent en termes de changements climatiques.
Carla Prado a fait le grand saut du Brésil, son pays natal, à l’Alberta pour réaliser son rêve. Aujourd’hui chercheuse de renommée mondiale, elle milite en faveur du potentiel de l’alimentation dans le traitement du cancer.