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Comprendre l’importance de l’endroit où nous vivons

Des spécialistes de l’Histoire associent méthodes de recherche autochtones et données historiques numériques pour revoir notre perception des lieux où nous vivons et leur évolution au fil du temps.
Par
Joy SpearChief-Morris
Établissement(s)
University of Saskatchewan
Province(s)
Saskatchewan
Sujet(s)
Sciences sociales
Histoire

En utilisant des données, enfouies dans des documents historiques, pour créer des cartes pouvant révéler des modèles qui seraient invisibles autrement, le Laboratoire de systèmes d’information historique et géographique (HGIS) de l’Université de la Saskatchewan ouvre la voie à de nouvelles méthodes de recherche historiques et autochtones au Canada.

Photo portrait de Cheryl Troupe.

Fondé en 2006, il était à l’époque l’un des premiers laboratoires d’Histoire numérique du Canada; il est aujourd’hui l’un des plus grands du genre au pays. Le laboratoire élargit ses activités grâce à du financement de la FCI pour l’achat de puissants ordinateurs capables de fusionner des ensembles complexes de millions de données.

Cheryl Troupe, professeure adjointe d’Histoire à l’Université de la Saskatchewan, co-dirige avec le directeur du laboratoire et professeur agrégé d’Histoire, Benjamin Hoy, le projet de recherche dont l’infrastructure a été financée par la FCI .

Les travaux de recherche de Cheryl Troupe portent sur l’Histoire autochtone et l’Histoire environnementale, en particulier celles des communautés métisses au XXe siècle dans l’Ouest du Canada. Elle fusionne les récits oraux avec des ensembles de données comme des archives gouvernementales et les documents relatifs à l’attribution des terres pour créer des cartes qui montrent les liens entre le parcours de certaines familles et communautés et des lieux précis. Ces chroniques peuvent ainsi être racontées dans un contexte spatial, ce qui contribue à élever les voix métisses.

Cheryl Troupe est une métisse du Centre-Nord de la Saskatchewan. « Mes travaux de recherche sont très personnels », dit-elle.

Elle étudie le rôle des femmes métisses dans la production alimentaire et l’utilisation des terres par les communautés métisses du XXe siècle, dans la vallée de la rivière Qu’Appelle, dans le Sud de la Saskatchewan. Elle s’intéresse à la manière dont les familles ont maintenu leurs liens avec la terre malgré les efforts d’expulsion et de déplacement. Le fruit de ces travaux figurera dans son prochain ouvrage actuellement à l’étape d’une évaluation par ses pairs.

Photo portrait de Benjamin Hoy.

Les travaux de recherche de Benjamin Hoy et Cheryl Troupe combinent des méthodes historiques et géographiques, pour mieux analyser les variations dans le temps et dans l’espace.

« En ajoutant une latitude et une longitude, on peut trouver des regroupements, explique Benjamin Hoy. La clé de cette méthode – et ce qui la rend vraiment intéressante – est la superposition de données qui ne vont habituellement jamais ensemble. »

Son récent ouvrage, A Line of Blood and Dirt: Creating the Canada-United States Border across Indigenous Lands, (ligne de sang et de poussière : tracé de la frontière Canada–États-Unis sur les terres autochtones), qui lui a valu le Prix d’histoire du gouverneur général 2022, en est un exemple. L’auteur y combine des documents oraux et écrits pour cartographier et analyser les relations et les conflits physiques, politiques et culturels qui ont entouré la création de la frontière entre le Canada et les États-Unis.

Ses travaux de recherche actuels associent les registres des prisons et des déploiements fédéraux (mouvement des soldats et du matériel) de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle. Benjamin Hoy espère comprendre, à l’échelle nationale, comment la logistique militaire défaillante a entraîné la malnutrition et la maladie chez les soldats, limitant ainsi leur capacité à mettre fin aux violences locales entre les populations autochtones et les colonies.

Valider les récits et comprendre le passé colonial

Les travaux de recherche effectués à l’aide de ces nouveaux outils peuvent aider les communautés autochtones à valider leurs histoires orales, en particulier celles qui concernent la terre et les lieux. Au cours de ses travaux de recherche, Cheryl Troupe a constaté que les gens disaient, par exemple : « nous vivions près de la réserve parce que nous avions de la famille là-bas » ou « nous vivions près de telle personne parce que c’était important » ou encore « nos familles vivaient toutes dans un endroit particulier ».

Sur une carte, il est possible de déterminer des lieux plus précis qui correspondent aux récits, explique la chercheuse. « Il y a une représentation visuelle de leur compréhension du monde, et je pense que c’est très puissant, affirme-t-elle. Les gens qui ne lisent pas nécessairement les travaux universitaires ont parfois une vision différente de cette représentation. »

« On commence vraiment à sentir une réaction à [ces travaux], ajoute-t-elle. La culture de la réconciliation et les résultats de la [Commission vérité et réconciliation] y sont pour quelque chose, mais on constate un véritable intérêt chez les gens à comprendre les lieux où ils vivent. »

Faire avancer la recherche historique

Selon Benjamin Hoy, le Canada accuse un retard de 20 à 30 ans par rapport aux États-Unis et à la Grande-Bretagne en ce qui concerne l’infrastructure d’information numérique, notamment le libre accès aux données publiques. Il aimerait bien corriger ce retard grâce à son travail.

« L’un de mes objectifs est de numériser et de centraliser un grand nombre des documents les plus importants du Canada », explique-t-il. Par exemple, il aimerait numériser les registres des prisons dans le but de « mettre des ensembles de données importants et fondamentaux pour l’Histoire du Canada entre les mains des jeunes chercheurs et chercheuses et du public, afin qu’ils puissent commencer à répondre à leurs propres questions sur le passé du Canada ».

Selon Benjamin Hoy, le Laboratoire de systèmes d’information historique et géographique offre aux historiennes et historiens une façon de contribuer au domaine de façon originale moyennant un minimum de formation. « Les historiennes et historiens montrent une certaine réticence à l’égard des grands ensembles de données, explique-t-il. Le potentiel est énorme, et ce qui est génial, c’est que l’on peut apprendre à le faire en quelques semaines. »

Selon Cheryl Troupe, le projet vise à renforcer les capacités des équipes de recherche dans des disciplines qui n’utilisent généralement pas l’analyse spatiale. « En Histoire, on se concentre généralement sur les documents d’archives, soutient-elle. La possibilité d’accéder à des données numériques a changé notre façon de travailler, et je pense que le travail du laboratoire fait vraiment avancer les choses, ce qui est très stimulant.

La possibilité d’accéder à des données numériques a changé notre façon de travailler, et je pense que le travail du laboratoire fait vraiment avancer les choses. »

Cheryl Troupe, Université de la Saskatchewan