Étudier les causes et les conséquences des guerres et des génocides
Depuis la sanglante mise à sac de Babylone jusqu’aux guerres des XXe et XXIe siècles, l’humanité présente un lourd passé en matière de violences commises sous l’égide des États.
« Les conflits ne vont pas disparaître du jour au lendemain. Les êtres humains se livrent depuis toujours à des luttes qui portent sur le territoire, les valeurs, la couleur de la peau et le pouvoir », explique Hilary Earl, professeure d’Histoire à l’Université de Nipissing (en anglais seulement), en Ontario.
Mais en comprenant mieux les expériences du passé, la chercheuse, cofondatrice et responsable de projets du Centre d’études sur la guerre, les atrocités et le génocide (C-WAG) de l’Université de Nipissing, qui est financé par la FCI, espère aider les gouvernements à façonner leurs politiques actuelles.
Ensemble, elle et ses collègues du C-WAG se penchent sur de grandes questions, à savoir : à quel moment une intervention militaire est-elle justifiée sur le plan moral? Comment les États parviennent-ils à convaincre leur population de participer à la guerre ou de perpétrer un génocide? Et quelles sont les conséquences des violences commises sous l’égide des États sur les individus qui les commettent et les victimes qui les subissent?
Si les spécialistes de l’Histoire étudient ces questions depuis des générations, le C-WAG a aujourd’hui recours à des technologies modernes pour sonder de nouvelles pistes de réponse.
Questions tenaces mais nouvelles approches
À l’entrée du C-WAG, une sculpture illuminée représentant des victimes des violences étatiques attire l’attention des personnes qui passent par là. À l’intérieur, diverses installations artistiques invitent les visiteurs et visiteuses à méditer sur les conséquences des guerres, des génocides et du colonialisme.
Nous y trouvons une salle de projection qui se prête au visionnement de vidéos; un espace garni de fauteuils et de postes de travail où peuvent se réunir les étudiants, les étudiantes et les membres de la collectivité; ainsi qu’une salle de séminaire équipée pour l’enseignement à distance et conçue selon les traditions autochtones, afin notamment d’y tenir des cérémonies de purification par la fumée, ce qui permet d’étendre les relations et les conversations à l’extérieur du campus.
« C’est par le dialogue que les idées germent », affirme Hilary Earl.
D’autres espaces sont dotés d’un large éventail d’outils de pointe qui permettent de donner vie à ces idées, notamment des caméras de qualité cinématographique, des caméras GoPro et des consoles de jeux Xbox. Selon Stephen Connor, chercheur au C-WAG et professeur d’Histoire, cet équipement permet de faire avancer la recherche, tout en suscitant la participation des étudiantes et des étudiants et en créant des occasions d’apprentissage.
« C’est formidable de voir le visage des étudiantes et des étudiants s’illuminer quand je les encourage à repenser notre approche, avance le chercheur. Comme les balados, les films et les jeux sont leurs médias de prédilection, je les invite à se poser des questions et à tenter d’y répondre d’une manière qui n’est pas conventionnelle. »
Cet espace me permet de jouer avec des idées, de faire des essais sur le terrain, mais aussi d’apprendre de mes étudiantes et étudiants. »
– Stephen Connor, Université de Nipissing
Troquer les manuels scolaires contre des vidéos, des simulations immersives et l’histoire orale
Le cours d’histoire orale de quatrième année, donné par Katrina Srigley, chercheuse au C-WAG et professeure d’Histoire, illustre parfaitement ce concept. En effet, au cours de l’année scolaire 2023-2024, ses étudiantes et étudiants ont utilisé la salle d’entrevue insonorisée et l’équipement d’enregistrement du centre pour recueillir et partager les témoignages de membres de la 22e Escadre de l’Aviation royale canadienne (en anglais seulement) qui étaient en poste à North Bay pendant la Guerre froide.
Dans la pièce voisine, Hilary Earl utilise les logiciels de production et de montage vidéo du C-WAG pour donner vie à ses propres travaux de recherche. Depuis plusieurs années, elle se penche sur l’exécution massive de 2 749 personnes juives dans la ville lettonne de Liepāja, pendant la Seconde Guerre mondiale.
Au cours des procès pour crimes de guerre qui ont suivi ce drame, les responsables ont insisté sur le fait que les victimes étaient mortes rapidement et sans douleur. Cependant, les photographies et les vidéos prises par un soldat SS dépeignent une autre réalité.
« Personne ne parle au nom des victimes qui ont été photographiées lors de ces exécutions. Nous devons raconter leur histoire », souligne Hilary Earl. En 2021, elle l’a fait dans une vidéo poignante de cinq minutes (traumavertissement : cette vidéo présente des scènes de violence et d'homicide dans le contexte de la guerre et de l'Holocauste. Elle est en anglais seulement). Aujourd’hui, elle produit un long documentaire sur le massacre de Liepāja, consciente de la possibilité de toucher avec celui-ci un plus grand nombre de personnes et un public beaucoup plus vaste qu’avec un article universitaire traditionnel.
« Une partie du mouvement pour la justice consiste à redonner la parole aux victimes de génocides. Et je suis convaincue qu’un documentaire comme celui-ci peut y contribuer », affirme la chercheuse.
Un peu plus loin, Stephen Connor explore le pouvoir des jeux de société, des jeux vidéo et des simulations en tant qu’outils pédagogiques. Il explique que leur qualité d’immersion permet de replacer les conflits historiques en contexte, d’analyser les décisions prises par le passé et de comprendre l’Histoire de manière plus approfondie. Parallèlement, les jeux et les simulations peuvent aider les étudiantes et les étudiants à développer leur esprit d’équipe, à apprendre à faire des compromis ou à trouver des solutions créatives à divers problèmes.
« Je ne vois surtout pas le jeu comme une sorte de ketchup qui servirait à masquer le goût des choux de Bruxelles. C’est un outil essentiel qui permet d’acquérir des compétences transférables, explique-t-il. Il s’agit d’un moyen comme un autre de poser des questions et d’en apprendre plus sur le passé. »
Le financement de la FCI en faveur de travaux de recherche en sciences humaines, comme ceux que nous menons au Centre d’études sur la guerre, les atrocités et le génocide, est d’une importance capitale. Cet espace nous permet de travailler en tant que membres d’une communauté. Et en sortant du cadre traditionnel des livres et des archives, nous diffusons nos résultats auprès d’un public plus vaste.
– Hilary Earl, Université de Nipissing
Tirer parti des leçons du passé
L’Histoire nous raconte le chemin parcouru pour en arriver au présent. Et bien que le passé ne se répète jamais tout à fait de la même manière, « le contexte est primordial », souligne Stephen Connor. L’étude des conflits antérieurs peut nous aider à déceler les signes précurseurs dans notre monde actuel.
Par exemple, il souligne que les responsables politiques construisent souvent des récits du passé qui permettent de justifier les politiques actuelles, qu’il s’agisse de perpétrer des actes terroristes ou d’envahir un pays. « En examinant ces questions, nous luttons efficacement contre l’instrumentalisation de l’Histoire », explique le chercheur.
Selon Hilary Earl, c’est la raison pour laquelle l’éducation et la recherche jouent un rôle si important. « L’éducation en soi ne constitue pas un frein à la violence, mais elle permet à la population de poser un regard critique sur les politiques de l’État, explique-t-elle. Et comment peut-on acquérir les outils nécessaires à la pensée critique? Grâce aux investissements dans les universités, la recherche et des programmes comme celui-ci, qui sont d’une importance capitale. »
Le projet de recherche présenté dans cet article est également financé par le Conseil de recherches en sciences humaines.