Pour en savoir plus sur la façon dont la communauté scientifique répond à l’appel à contribution pendant la pandémie de COVID-19, suivez notre campagne vidéo #GoLaRecherche ou consultez : Le milieu de la recherche : prêt à l’action durant la pandémie de COVID-19. Nous y démontrons comment la FCI et la communauté de la recherche qu'elle appuie, réagissent à une crise mondiale.
Au Canada, le secteur des soins de longue durée devait déjà surmonté des épreuves lorsque la COVID-19 a fait son apparition. Les conséquences ont été désastreuses : des résidents atteints de démence ne pouvaient comprendre pourquoi leurs proches avaient cessé de leur rendre visite et des enfants n’ont pu être au chevet de parents mourants.
« C’est une véritable tragédie », estime Janice Keefe, qui dirige le département d’études familiales et de gérontologie à l’Université Mount Saint Vincent, en Nouvelle-Écosse.
Toutefois, Mme Keefe est bien placée pour instiguer un changement. Elle reconnaît que les décideurs ont besoin de données approfondies pour comprendre l’ampleur du problème et élaborer des politiques efficaces. C'est pourquoi elle a créé, en 2003, le Centre de données des Maritimes pour la recherche et l’analyse des politiques sur le vieillissement, grâce à un financement de la Fondation canadienne pour l’innovation. Ce centre fait partie du centre sur le vieillissement de la Nouvelle-Écosse de renommée internationale.
Des données qui comptent pour les établissements de soins de longue durée
Janice Keefe dans le foyer de l’édifice où se trouve le Centre de données des Maritimes pour la recherche et l’analyse des politiques sur le vieillissement, à Halifax Crédit : Centre de données des Maritimes pour la recherche et l’analyse des politiques sur le vieillissement |
L’objectif de Mme Keefe était de regrouper les données existantes en un seul endroit et de les enrichir avec les résultats de ses propres recherches, notamment des sondages, des groupes de discussion et des entretiens.
Au cours des 17 dernières années, les travaux de recherche menés par le centre ont permis de façonner des politiques fondées sur des données probantes en matière de vieillissement en Nouvelle-Écosse, au Nouveau-Brunswick et à l’Île-du-Prince-Édouard. À titre d’exemple, ils ont contribué à la mise en place d’une allocation pour aidants familiaux en Nouvelle-Écosse. L’analyse des délais d’attente pour intégrer un établissement de soins de longue durée s’est traduite par des modifications à la politique provinciale. Parallèlement, une étude sur les facteurs qui influent sur la qualité de vie des résidents a amené plusieurs foyers à modifier leur façon de mesurer le rendement du personnel.
Ce type de recherche comble une importante lacune dans un secteur qui ne compte actuellement que peu de données. « C'est extrêmement important », affirme Vicki Elliott-Lopez, directrice exécutive principale du service de soins continus au ministère de la Santé et du Mieux-être de la Nouvelle-Écosse. « De plus en plus, le gouvernement veut prendre des décisions fondées sur des données probantes. »
La COVID-19 a amplifié les enjeux auxquels les établissements de soins de longue durée sont confrontés
En 2018, le gouvernement de la Nouvelle-Écosse a invité Mme Keefe à présider un groupe consultatif d’experts sur les soins de longue durée. Le rapport a dépeint un système en difficulté. Selon la chercheuse, le secteur est en quelque sorte le mal-aimé des soins de santé. « On accorde beaucoup plus d’attention, de financement, de soutien et de préparation aux soins de courte durée qu’aux soins de longue durée », explique-t-elle.
Ainsi, lorsque la COVID-19 a fait son apparition, de nombreux établissements se sont trouvés dans une situation précaire. « Cela n’a fait que creuser davantage le gouffre dans lequel s’enlisait déjà le système », souligne Mme Keefe. Au cours des deux premiers mois de la pandémie, 81 pour cent des décès attribuables à la COVID-19 au Canada sont survenus dans des établissements de soins de longue durée, soit le double de la moyenne des autres pays de l’OCDE.
La discrimination fondée sur l’âge, le sexisme et la fragmentation a contribué à accroître les défis que surmontent les établissements de soins de longue durée
« Certains se disent, bah, ce ne sont que des personnes âgées » note la chercheuse. La discrimination fondée sur l’âge a contribué à créer un système où les établissements n’ont pas suffisamment de ressources et où les carrières manquent de prestige, plaide-t-elle.
En effet, une des principales faiblesses du système concerne le personnel, notamment en ce qui a trait à la pénurie de main-d’œuvre et au fait que, nombreux sont ceux qui doivent concilier des postes occasionnels dans plusieurs établissements, qui sont surchargés de travail, sous-formés et sous-payés. « On pense souvent que c’est un domaine réservé aux femmes », explique Mme Keefe, en soulignant que 90 pour cent du personnel des établissements de soins est féminin. « Ce travail n’est pas valorisé. »
La pandémie a également mis en évidence l’ampleur du travail accompli par les membres de la famille (encore une fois, en grande majorité des femmes) qui passent de nombreuses heures par semaine à s’occuper d’un proche dans un établissement de soins.
Madame Keefe évoque également d’autres problèmes. La Loi canadienne sur la santé ne garantit pas l’universalité des soins de longue durée. En effet, il n’existe pas de normes pancanadiennes et les structures de reddition de comptes sont parfois fragmentées. En Nouvelle-Écosse, par exemple, une direction du gouvernement provincial définit les politiques en matière de soins de longue durée, tandis qu’une autre assure la prestation des services.
Répondre à l’appel lancé pour résoudre les problèmes persistants dans les établissements de soins infirmiers
La chercheuse a participé au groupe de travail sur les soins de longue durée dans le contexte de la COVID-19, mis sur pied par la Société royale du Canada qui, par la suite, a formulé un certain nombre de recommandations pour résoudre la crise de la main-d’œuvre dans les établissements de soins infirmiers. Ces recommandations comprennent la mise en œuvre de normes nationales pour des éléments tels que la formation et les ressources disponibles pour contrôler les maladies infectieuses dans les maisons de soins infirmiers, ainsi que le droit aux congés de maladie pour les préposés aux bénéficiaires. Mme Keefe souhaite toutefois aborder d’autres questions.
L’une d’entre elles consiste à trouver un équilibre entre le risque de transmission de maladies infectieuses et la qualité de vie des résidents. « Comment pouvons-nous y parvenir? Comment faire en sorte que des proches qui leur procurent de la joie, puissent demeurer présents dans la vie des résidents pendant cette période » s’interroge-t-elle? « C'est essentiel. »
Selon la chercheuse, il est plus important que jamais d’examiner comment sont prodigués les soins aux aînés au fur et à mesure que le nombre de personnes âgées au Canada, tout comme la demande en matière de soins de longue durée, ne cesse d’augmenter.
La chercheuse souhaite que l’attention suscitée par la COVID-19 sur les soins de longue durée se traduise par des améliorations. « Je pense qu’il peut se révéler très utile de braquer les projecteurs sur ce secteur » affirme Mme Keefe, « mais ce ne le sera vraiment que si des changements positifs sont apportés. »
Entre-temps, le Centre de données des Maritimes continuera à produire ses indispensables données et statistiques ; il poursuivra ses formations auprès de la nouvelle génération de chercheurs ; et il veillera à faire évoluer les mentalités à l’égard des populations vieillissantes et de la manière dont nous nous en occupons; et enfin, il continuera à participer à l’élaboration de politiques visant à restaurer le système.