Terre-Neuve-et-Labrador est une région riche sur le plan historique. En effet, des chasseurs-cueilleurs béothuks en passant par les Paléo-Inuit, les pêcheurs basques, les explorateurs vikings et les colons britanniques, de nombreux peuples ont laissé leur empreinte sur ce territoire hostile.
Aujourd’hui, ce patrimoine est mis en péril par les changements climatiques. Comme l’essentiel de l’activité humaine s’est déroulé le long du littoral pendant des millénaires, plus de 80 pour cent des sites archéologiques sont menacés par les ondes de tempête et l’élévation du niveau de la mer. Dans les régions septentrionales, des objets longtemps conservés dans ces sols gelés ont commencé à se décomposer en raison de la fonte du pergélisol. Certains sites entiers se détachent même de leur socle rocheux pour sombrer dans l’océan.
Alors que le temps presse, Lisa Rankin, archéologue à l’Université Memorial (en anglais seulement) associe la technologie du XXIe siècle aux truelles, tamis et brosses utilisés traditionnellement dans sa profession. Grâce à ces nouveaux outils, elle peut étudier les sites, repérer les détériorations et cibler les zones les plus vulnérables afin d’y effectuer des fouilles avant qu’il ne soit trop tard.
Déployer des drones pour effectuer rapidement des relevés
Les méthodes traditionnellement utilisées pour effectuer des relevés prennent tout simplement trop de temps, explique Lisa Rankin. C’est pourquoi elle a lancé le projet « Archéologie en péril de l’Atlantique Nord », qui se concentre sur les littoraux du nord du Labrador, de Terre-Neuve et de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Grâce au financement de la FCI, la chercheuse et son équipe se servent d’un géoradar pour détecter les vestiges enfouis, d’un équipement GPS/AN spécialisé pour cartographier les sites et d’appareils à rayons X portatifs pour déterminer la composition chimique des artefacts touchés par les changements climatiques.
S’ajoutent à cet équipement des drones dotés de lidars, qui peuvent capter un très grand nombre d’images aériennes en l’espace de quelques heures. « C’est beaucoup plus rapide que les méthodes archéologiques traditionnelles, explique Lisa Rankin, en plus de nous permettre de couvrir un territoire bien plus vaste. »
Depuis les airs, les drones repèrent les vestiges de huttes de terre inuites, de stations baleinières basques ou de bunkers datant de la Seconde Guerre mondiale. Ils peuvent même détecter des changements à la végétation, signe que ces endroits ont autrefois été habités. Au laboratoire, à l’aide d’ordinateurs et de logiciels de système d'information géospatiale (SIG) spécialisés financés par la FCI, l’équipe de recherche peut ensuite dépouiller toutes ces données et dresser un tableau clair des sites historiques en péril.
Le département d’archéologie de l’université a accueilli favorablement ce nouvel équipement. Deirdre Elliott, candidate au doctorat, fait partie de la douzaine d’étudiantes et d’étudiants des cycles supérieurs qui ont pu en tirer parti à ce jour. Elle se rappelle s’être rendue dans des endroits reculés du Nord où, en raison du climat rigoureux, elle ne disposait que d’une quinzaine de minutes pour effectuer des relevés. « Grâce au drone que j’avais apporté, j’ai tout de même pu recueillir un grand nombre de données sur l’état de ces sites. Il s’agit donc d’un outil des plus utiles », affirme-t-elle.
Des missions de sauvetage archéologique d’une importance capitale
Les relevés aériens permettent de visualiser et de mesurer plus facilement les changements, ce qui constitue une étape cruciale pour convaincre les responsables politiques et les collectivités de préserver des sites clés ou des vestiges patrimoniaux importants. « En montrant côte à côte des photos prises par un drone, on voit immédiatement le changement qui s’opère d’une année à l’autre, et cela permet d'enfoncer le clou, explique Deirdre Elliott. À certains endroits, les pertes de terrain sont de l’ordre d’un mètre par année. »
En plus de mener ses propres travaux de recherche, Deirdre Elliott est coordinatrice du programme du patrimoine du gouvernement du Nunatsiavut (en anglais seulement), où elle est chargée de la préservation des sites archéologiques situés sur les Terres des Inuit du Labrador.
Selon elle, il ne s’agit pas seulement de comprendre le passé, cela devient également important de nos jours, en particulier pour les communautés autochtones. Lisa Rankin partage cet avis : « l’identité de ces peuples est étroitement liée aux territoires qu’ils habitent et aux lieux qu’ils ont appris à connaître à travers les traditions orales, explique-t-elle. La perte de ces lieux entraînerait la perte de leur identité, de leur savoir et de leur mode de vie. »
De précieux témoignages de l’histoire de la colonisation sont également effacés en raison des changements climatiques. Lisa Rankin cite en exemple la baie Red, au Labrador, où des marins basques ont établi, au XVIe siècle, une importante station baleinière. Aujourd’hui, l’érosion côtière causée par l’élévation du niveau de la mer engloutit peu à peu ce site classé au patrimoine mondial de l’UNESCO.
Et c’est sans compter les conséquences financières. Chaque année, des dizaines de milliers de touristes affluent vers les sites historiques de la province. La perte de ces sites mettrait en péril une source importante de revenus et d’emplois.
Tirer parti des outils de haute technologie et de la science citoyenne
Alors que les archéologues du monde entier doivent composer avec les changements climatiques, les approches avant-gardistes adoptées par Lisa Rankin révolutionnent la discipline. « Le laboratoire financé par la FCI nous permet non seulement d’aller sur le terrain et d’accomplir notre travail dans les meilleurs délais, mais aussi de former toute une nouvelle génération d’archéologues à ces nouvelles techniques non traditionnelles », explique-t-elle.
Or, même en ayant recours à des outils de haute technologie, l’ampleur de la tâche est considérable. Pour préserver le plus grand nombre possible de sites patrimoniaux, Lisa Rankin et Deirdre Elliott estiment que les collectivités locales sont appelées à jouer un grand rôle. « Nous ne pouvons être partout à la fois, mais il nous faut pourtant des yeux sur l’ensemble du territoire », explique cette dernière.
Et c’est précisément ce à quoi servira une nouvelle application mise au point par le gouvernement du Nunatsiavut. En effet, grâce à celle-ci, les citoyennes et citoyens scientifiques pourront signaler les effets des changements climatiques en transmettant des coordonnées GPS, des photographies et diverses autres données afin d’aider les gouvernements autochtone et provincial à surveiller les dégradations et à prendre des décisions éclairées.
« Près de 10 000 ans d’Histoire doivent être préservés, et ce, sur plusieurs milliers de sites. Ces nouvelles méthodes rapides et accessibles nous aideront à mener à bien notre mission, explique Deirdre Elliott. Notre approche de l’archéologie est en pleine évolution. »
Le laboratoire financé par la FCI nous permet non seulement d’aller sur le terrain et d’accomplir notre travail dans les meilleurs délais, mais aussi de former toute une nouvelle génération d’archéologues à ces nouvelles techniques non traditionnelles. »
— Lisa Rankin, Université Memorial