Au Canada, pratiquement tout le monde a un vélo, que ce soit pour faire de l’exercice ou une petite promenade les fins de semaine. Toutefois, pour de nombreuses autres personnes, notamment dans les pays du sud, avoir un vélo peut véritablement transformer le quotidien.
Lyndsay Hayhurst, professeure agrégée à l’Université York (en anglais seulement), est convaincue que le vélo peut être un vecteur de changement social. Elle reconnait toutefois qu’il faut émettre certaines réserves importantes. Depuis six ans, elle est membre d’une équipe qui examine la manière dont les interventions de développement social axées sur le vélo, qui sont menées au Canada, au Nicaragua et en Ouganda, sont vécues par des femmes qui se sont identifiées comme telles, ainsi que par des personnes queers, transgenres, noires, autochtones ou de couleur (QTBIPOC).
L'équipe a découvert que le fait d’avoir une bicyclette pouvait déboucher sur de nouvelles perspectives économiques et faire tomber les obstacles liés au genre. À titre d’exemple, les jeunes femmes qui ont un vélo peuvent se rendre à l’école pour y faire des études ou aux marchés locaux pour y vendre leurs produits. Madame Hayhurst estime que le vélo pourrait d’ailleurs contribuer à l’atteinte de certains des objectifs de développement durable des Nations Unies, notamment l’égalité des sexes.
Toutefois, bien que le vélo offre des avantages, les recherches menées par l’équipe de madame Hayhurst ont également montré qu’avoir une bicyclette à disposition est parfois source de tensions et de difficultés pour les femmes.
« J’ai sous-estimé la contribution du vélo à la transformation sociale et économique », admet Patrick Eyul, chercheur à la Fondation PEAH pour la santé mondiale et collaborateur sur le terrain à l’étude menée en partenariat avec madame Hayhurst, en Ouganda. « Les conclusions m’ont fait prendre conscience du rôle essentiel que le vélo peut jouer dans la transformation de la société. »
Un chemin tortueux vers le changement socioéconomique
Les personnes ayant participé à l’un des trois projets ne se sont pas seulement vu offrir un vélo. Madame Hayhurst et son équipe de recherche leur ont également remis de l’équipement numérique financé par la FCI, comme un appareil photo, une caméra GoPro et un magnétophone, afin de documenter leur expérience à vélo dans leur collectivité.
Grâce à cet équipement, les interactions positives et négatives ont pu être enregistrées tout au long de leur trajet à vélo. En Ouganda, par exemple, où nous avons remis les bicyclettes à des femmes séropositives, le projet a mis en lumière des inégalités insoupçonnées au sein de la collectivité.
« Cette initiative a mis au jour des conséquences auxquelles nous ne nous attendions pas, explique la chercheuse. En effet, lorsque nous avons remis les vélos aux participantes, leurs époux ou même d’autres hommes de la collectivité ont lorgné avec envie ces femmes qui possédaient désormais leur propre vélo. » Cette situation s’est parfois traduite par des violences et de la discrimination à l’égard de ces femmes.
Selon Hayhurst, pour que le vélo devienne un vecteur de changement social, il faut également tenir compte de la manière dont les femmes, les personnes diversifiées sur le plan du genre et d’autres personnes marginalisées utilisant un vélo peuvent être exposées à la discrimination.
« Nous ne parviendrons pas à résoudre les problèmes sociaux urgents liés aux inégalités entre les sexes uniquement en offrant aux femmes un vélo. C’est plus complexe que ça, précise-t-elle. Nous devons envisager plus globalement la division du travail et les relations entre les sexes, et tenir compte de l’incidence de ces diverses forces sur la manière qu’ont les femmes de recourir à leur propre vélo, et la manière des membres de la collectivité de réagir vis-à-vis de celles qui possèdent un vélo. »
Documenter l’incidence plus large du vélo sur le développement social
C’est en creusant ces idées que madame Hayhurst a décidé d’intégrer une composante visuelle à ses recherches. Grâce à un équipement audiovisuel permettant d’enregistrer leurs interactions à vélo, les participantes peuvent ensuite adopter une approche artistique, notamment en faisant un collage de photos ou en réalisant un documentaire, pour examiner et documenter l’incidence de ces interactions sur elles-mêmes.
« Par exemple, nous pourrions réaliser un court documentaire de cinq minutes qui résume ces expériences et ainsi créer une œuvre de grande portée sociale qui pourrait être présentée au public, explique la chercheuse. Le simple fait de donner un vélo à une femme ne suffit pas à assurer l’égalité entre les sexes. C’est pourquoi le volet visuel de notre projet est si important, car il nous permet de mieux comprendre l’incidence plus large qui découle de ce don. »