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Et si votre cuisinière se rappelait vos mauvaises habitudes?

Les dispositifs d’intelligence artificielle peuvent aider les personnes âgées à rester à domicile plus longtemps
Par
Elizabeth Howell
Établissement(s)
Université du Québec à Chicoutimi
Province(s)
Québec
Sujet(s)
Intelligence artificielle

Et si votre cuisinière pouvait se rappeler votre tendance à oublier la marmite de riz sur le feu et vous aviser lorsqu’elle estime que vous êtes sur le point de commettre à nouveau cette bêtise? Cela pourrait en fait sauver la vie de personnes âgées souhaitant continuer à vivre de façon autonome le plus longtemps possible. Les appareils fonctionnels conçus par Bruno Bouchard et son équipe de l’Université du Québec à Chicoutimi utilisent des capteurs et des dispositifs d’intelligence artificielle pour prévoir le comportement des utilisateurs, en particulier en situation de danger potentiel comme la cuisson des aliments. Nous nous sommes entretenus avec M. Bouchard pour savoir de quelle manière l’intelligence artificielle appliquée au troisième âge pourrait changer considérablement nos vieux jours.

Le Canada compte aujourd’hui un plus grand nombre de personnes de plus de 65 ans que de jeunes de moins de 15 ans. De quelle manière l’intelligence artificielle peut-elle aider une population vieillissante à rester à domicile?

Rester chez soi est hautement souhaitable, non seulement sur le plan financier, mais aussi en raison du degré élevé de la qualité de vie. Les gens devraient pouvoir mener une vie la plus normale possible sans être isolés et vivre dans la dignité en jouissant de la plus grande autonomie envisageable.

Toutefois, pour de nombreuses personnes âgées en perte d’autonomie modérée à grave, vieillir chez soi comporte des risques et exige de la supervision. Leurs proches ne peuvent être présents en tout temps, car cette responsabilité représente un lourd fardeau.

C’est pourquoi nous concevons des systèmes d’intelligence artificielle à domicile qui englobent un éventail de dispositifs électroniques ‒ capteurs et actionneurs ‒ intégrés aux objets de tous les jours comme les portes d’armoire, la cuisinière, les lampes et les écrans. Ces dispositifs sont intégrés de façon parfaitement transparente, c’est-à-dire que l’utilisateur ne peut pas les voir, afin de surveiller l’état de ce dernier et de l’aider, au besoin.

À titre d’exemple, les chutes représentent un enjeu important chez les personnes âgées. Grâce à notre technologie, il serait possible de détecter une chute et même de mieux prévoir l’émergence de conditions susceptibles d’en entrainer une. L’assistance offerte par l’intelligence artificielle porte également sur la prise des médicaments et l’apprentissage de la routine d’une personne afin de déceler les anomalies.

Pour quelles raisons cela est-il important?

La détection de ces anomalies est utile à bien des égards. Cela nous aide à transmettre aux médecins un profil plus juste de leurs patients, et surtout, nous indique lorsqu’il faut intervenir. À titre d’exemple, imaginons qu’une personne soit en train de cuisiner. L’eau bout sur le feu au moment où le téléphone sonne. Cette personne va donc répondre, mais cette simple distraction peut l’amener à oublier l’eau en ébullition. Dans ce cas, le système peut faire revenir la personne dans la cuisine notamment au moyen d’un dispositif d’éclairage qui baliserait le chemin à suivre jusqu’à la cuisinière. Le système peut ensuite envoyer un message audio invitant la personne à jeter un coup d’œil à la marmite d’eau. Si aucune intervention n’est effectuée, le système peut couper le courant pour éviter les risques d’incendie.

Parmi les dispositifs à l’étude, lequel est susceptible d’avoir la plus grande incidence au cours des prochains cinq à dix ans?

Nous sommes en train de créer un prototype de cuisinière intelligente capable de surveiller les activités culinaires d’un utilisateur atteint d’un trouble cognitif et de l’assister de manière personnalisée dans la préparation d’une recette. Ce système est également en mesure de détecter les situations à risque, telles que des circonstances dangereuses qui pourraient provoquer un incendie, et de prendre des mesures préventives en conséquence. Cette technologie combine, en temps réel, les données mesurées par les détecteurs thermiques et les éléments électromagnétiques intégrés à la cuisinière pour percevoir l’état actuel d’une recette en cours.

Nous voulons créer de nouveaux dispositifs fonctionnels afin de suivre les personnes âgées dans l’accomplissement des tâches quotidiennes tout en les aidant à les réaliser. Il ne s’agit pas d’effectuer la tâche pour celles-ci, car cela ne les aiderait pas à rester autonomes. Au contraire, nous voulons mettre à leur disposition les outils dont elles ont besoin pour conserver leur indépendance.

Ainsi, si une personne oublie d’arrêter la cuisinière, plutôt que de programmer une coupure automatique du courant, nous utilisons des signaux lumineux de même que l’activation de messages audio et vidéo pour amener la personne à éteindre le feu. Bien sûr, en cas de danger imminent, le système va intervenir ou appeler les services médicaux d’urgence.

Vous avez déjà écrit que l’intelligence artificielle est destinée à devenir un important pilier de l’économie. Que voulez-vous dire?

À l’heure actuelle, le développement rapide de l’intelligence artificielle provoque une secousse ressentie de par le monde, transformant le travail et l’organisation des entreprises. On pourrait qualifier cette évolution de troisième révolution industrielle, après l’automatisation des machines à vapeur puis l’électricité.

Dans le contexte particulier de notre recherche, rien qu’aux États-Unis, le marché des technologies d’assistance comme celles que nous fabriquons atteindra 60,5 milliards de dollars (environ 74 milliards de dollars canadiens) par année d’ici 2018, sans compter une croissance annuelle de près de six pour cent au cours de la prochaine décennie.

Le Canada est doté d’un vigoureux secteur des technologies de l’information et de certaines des meilleures infrastructures au monde pour mener des recherches dans le domaine de l’intelligence artificielle. Nous sommes donc bien placés pour tirer profit de ce nouveau paradigme économique.

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