Les enfants voient leurs parents comme des êtres invincibles et inébranlables, comme des personnes qui seront toujours là, quoi qu’il arrive.
Il est donc difficile et troublant pour eux de constater que leur armure a une faille, de les voir se battre contre une maladie et de se rendre compte qu’ils ne sont pas immuables, mais plutôt, humains et vulnérables.
Austin Lee était en neuvième année lorsque sa famille a quitté la Corée du Sud pour s’installer au Canada. Il voyait son père, un banquier et un financier, se battre contre le diabète de type 2 et savait que cette maladie chronique pouvait entrainer de nombreux troubles de santé.
La prise en charge du diabète exige au quotidien la consignation attentive de la glycémie dans un carnet médical personnel. Les données de ce carnet permettent au médecin d’évaluer les habitudes alimentaires ainsi que le mode de vie d’un patient, et de déterminer leur effet sur la glycémie. Pour M. Lee, inventeur et doctorant en science des matériaux du Département de chimie de la Simon Fraser University, il était évident que ce carnet était essentiel à la santé de son père. « C’est un peu comme un compte de banque. Il faut constamment exercer une surveillance et faire un suivi avec le médecin pour être certain que le corps se porte bien. C’est ainsi qu’on prévient des complications graves » souligne M. Lee qui joue au basketball et est guitariste dans un groupe de jazz dans ses temps libres.
Toutefois, la nature humaine étant ce qu’elle est, les personnes diabétiques ont tendance à ne pas consigner assidument leurs résultats de glycémie. En partie motivé par son père – qui mesurait sa glycémie, mais ne la notait pas dans son carnet – M. Lee a inventé le Shield, un glucomètre sans fil rattaché à un téléphone intelligent. Le Shield mesure la glycémie d’une personne diabétique et l’enregistre dans une application; le médecin peut ensuite consulter les données recueillies dans une base de données infonuagique. Pour les diabétiques, les premières étapes sont les mêmes : ils se piquent le bout du doigt avec une lancette et déposent une goutte de sang sur une bandelette; l’appareil connecté à un téléphone cellulaire mesure ensuite la glycémie et l’enregistre. M. Lee précise que les données ainsi recueillies permettent au médecin de repérer les « signaux d’alarme ». « Si mon médecin constatait que ma glycémie est trop basse ou trop élevée, il me poserait des questions sur mes habitudes. »
M. Lee a travaillé avec des professionnels de la santé à BC Diabetes alors qu’il mettait au point le Shield. Il affirme que les médecins, forts de leur expérience, se méfient des données notées à la main par leurs patients. « Les patients altèrent leurs données, qui équivalent en quelque sorte aux notes d’un bulletin d’école. Avoir une mauvaise glycémie, c’est comme avoir un C-. Ils falsifient donc les chiffres de façon à montrer une amélioration, et reçoivent ainsi les compliments de celui qui les évalue. » Un suivi adéquat des données des patients permet toutefois d’intervenir rapidement et efficacement, et de prévenir les problèmes touchant les yeux, les reins, les pieds et les nerfs.
Les prototypes du Shield ont vu le jour alors que M. Lee en était à sa quatrième année de baccalauréat en génie nanotechnologique à la University of Waterloo, en Ontario. Par la suite, en 2012, M. Lee a pu parfaire son appareil grâce à une compétition pour les étudiants inventeurs organisée par 4D LABS, de la Simon Fraser University. 4D Labs – Design, Develop, Demonstrate et Deliver (conception, développement, démonstration et application) – donne aux chercheurs universitaires, industriels et gouvernementaux la possibilité d’utiliser de l’équipement pour concevoir et mettre au point des matériaux fonctionnels avancés et des dispositifs nanométriques. La prochaine étape sera de commercialiser l’appareil, en instance de brevet, au moyen de son entreprise Insight Diagnostics, où il occupe le poste de directeur de la technologie.
Professeur de chimie à la Simon Fraser University et directeur de thèse de M. Lee, M. Byron Gates souligne que les réussites de ce jeune doctorant sont remarquables. Selon lui, très peu d’étudiants sont capables d’accomplir seuls toutes les étapes, de l’idée initiale à la création et à la démonstration d’un produit commercialisable, tout en maitrisant de nombreuses autres disciplines en cours de route. « Austin se démarque de ses pairs par son initiative et son dynamisme. Il entretient une vision à long terme de la fabrication d’un produit commercialisable. Les personnes comme lui comptent pour moins d’un pour cent de tous les étudiants. » dit M. Gates.
Même s’il reste modeste quant à ses réussites, M. Lee est heureux que son père approuve le Shield. « Il était un peu sceptique au début, mais quand il l’a vu, il a constaté les retombées positives. C’est l’idée d’améliorer la vie de personnes diabétiques comme son père qui me motive. Ça me donne un grand sentiment d’humilité » dit-il.