Lorsqu’on pense aux multiples manières dont l’intelligence artificielle va façonner l’avenir, les véhicules sans conducteur figurent probablement parmi les technologies qui engendreront les plus grandes transformations. Raquel Urtasun, de la University of Toronto, se trouve à l’avant-garde de ce mouvement. Avant d’être à la tête du Advanced Technologies Group d’Uber et cofondatrice de l’Institut vecteur pour l’intelligence artificielle à Toronto, elle dirigeait un laboratoire pour la conduite autonome financé par la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) à la University of Toronto. Nous avons discuté avec elle de la façon dont l’intelligence artificielle viendra modifier les transports partout dans le monde.
Quel est l’aspect le plus stimulant de vos travaux de recherche?
C’est l’incidence potentielle de nos travaux si nous arrivons à mettre sur la route des voitures sans conducteur, et ce, non seulement pour l’économie, mais aussi la société. Nous pourrions permettre aux personnes âgées ou ayant des incapacités de se déplacer. Tous les ans, plus d’un million de personnes perdent la vie dans un accident automobile, sans compter les désagréments causés par la congestion routière et les collisions. Les avantages possibles sont énormes.
Y a-t-il quelque chose qui vous empêche d’aller de l’avant?
Non, je ne pense pas. Certes, les défis sont nombreux, mais nous venons de trouver une solution au problème le plus important : concevoir une voiture sans conducteur suffisamment sécuritaire pour sillonner tout le réseau routier. Cependant, il ne sera pas facile de passer d’un prototype qui fonctionne dans certains scénarios et de le mettre en pratique à plus vaste échelle. Concevoir un véhicule capable de conduire dans différentes villes, sous diverses conditions routières et météo, c’est l’important défi que nous devons relever, mais cela ne m’empêche pas d’aller de l’avant.
Quel rôle jouera l’intelligence artificielle dans l’avenir des transports?
L’intelligence artificielle aura une incidence sur tous les plans, de la conduite autonome, à la planification des routes en passant par l’établissement de modèles économiques pouvant tirer profit de ce nouveau type de transport. Cela touche même l’aménagement des villes et les moyens de vivre dans un environnement plus sain et agréable. Les répercussions vont bien au-delà du transport, mais je pense que ce domaine sera le premier à voir apparaitre les importantes transformations promises par l’intelligence artificielle.
Expliquez-moi comment fonctionne une voiture dotée d’une intelligence artificielle
Je peux vous l’expliquer en faisant une analogie avec le fonctionnement de l’être humain. Ce dernier perçoit l’environnement, reçoit des renseignements à partir des oreilles et des yeux. Une voiture sans conducteur fonctionne de la même façon, car elle est munie de capteurs qui étudient l’environnement. L’intelligence artificielle constitue le cerveau de la voiture. Elle extrait les renseignements enregistrés par les capteurs et évalue la situation. Y a-t-il d’autres automobiles sur la route? Que font-elles? Ce cerveau prévoit également ce qui est sur le point de se produire afin de décider de la meilleure manœuvre à effectuer.
Les voitures sans conducteur ont également recours à des cartes à haute définition. Le principe est le suivant : si vous connaissez le trajet qui vous mènera à destination, vous connaissez probablement aussi de nombreux éléments qui composent l’environnement. Et c’est sur ces facteurs que le « cerveau » va se focaliser. Les cartes permettent d’estimer notamment où se trouvent les embouteillages et la voie à emprunter, ce qui est crucial en sécurité automobile. Ainsi, la voiture trouve en ligne son emplacement sur cette carte et importe ces connaissances de l’environnement. Il s’agit d’une autre caractéristique des voitures sans conducteur qui diffère du fonctionnement de l’être humain.
Où se situe le Canada dans ces efforts déployés en vue de la mise au point de véhicules autonomes?
Le Canada possède une grande expertise en intelligence artificielle ‒ il se trouve d’ailleurs à l’avant-garde de ce secteur depuis de nombreuses années. Auparavant, l’industrie de la voiture sans conducteur était dominée par la robotique traditionnelle, mais l’intelligence artificielle est aujourd’hui la nouvelle clé de voute qui permettra de relever ce défi. C’est un changement considérable, et une période très intéressante pour la conduite autonome. Et puisque le Canada est en tête de peloton en matière d’intelligence artificielle, il jouera un rôle prépondérant dans la conception des voitures sans conducteur.
J’ai demandé à ma fille de huit ans de me suggérer la question à un scientifique qui conçoit des voitures sans conducteur, et elle a répondu : « Pensez-vous que vous allez changer le monde? »
Oui. Cela va changer le monde. Il ne s’agit pas seulement de trouver réponse à une problématique universitaire constituant un défi de taille. Cela va tout changer, et cette révolution est imminente. Cette percée représente pour les chercheurs une occasion exceptionnelle d’avoir une incidence considérable sur le monde. Mais les universitaires ne peuvent y arriver seuls; les entreprises ont aussi un rôle à jouer.
Vous arrive-t-il de songer à Henry Ford ou à tout autre pionnier du secteur des transports?
[Rire] Je ne pense pas vraiment à ces pionniers, mais pour mes collègues et moi, il est clair que nous nous trouvons à un carrefour qui nous offre la possibilité de contribuer à l’avènement d’un monde meilleur. Ce pouvoir est entre nos mains.
Et iI ne s’agit pas seulement de technologie, mais de nous tous, à titre de citoyens. Supposons que nous arrivons à concevoir une technologie qui fonctionne extrêmement bien et à la déployer partout dans le monde, il importe également d’en faire le meilleur usage possible. Si chaque personne achète une voiture sans conducteur, le monde ne sera pas nécessairement meilleur, au contraire! Il faudrait plutôt partager ces ressources, en faisant du covoiturage ou du conavettage par exemple, afin de préserver la santé de notre planète. De nos jours, on pense encore que chacun doit avoir « sa propre voiture », mais cela doit changer.
Avez-vous des préoccupations relatives aux véhicules autonomes ou n’y voyez-vous que des points positifs?
Nous sommes certes préoccupés par l’éventualité de ne pas réussir à atteindre le degré de fiabilité requis. Passer du modèle de conduite actuelle à une voiture sans conducteur représente un grand saut. Pourrons-nous y arriver un jour?
Le Code de la route constitue un autre aspect important. Il va falloir en revoir les règles avant d’être en mesure d’exploiter cette technologie, ce qui n’est pas de notre ressort. Je pense cependant qu’on trouvera une solution à ces problématiques, autrement, je n’y consacrerais pas tant d’énergie. La question n’est pas de savoir si on parviendra à les résoudre, mais plutôt à quel moment.
Bref, j’estime que les voitures sans conducteur se traduiront par des conséquences positives pour chacun d’entre nous.
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