Près de la moitié des cellules de l’organisme proviennent de l’extérieur – elles appartiennent aux bactéries et aux divers microorganismes qui colonisent l’ensemble du corps, de la bouche au gros intestin. Si cette pensée vous dégoute, dites-vous que les preuves laissant entendre qu’un grand nombre de ces microbes seraient en fait bénéfiques pour la santé se multiplient.
« Au siècle dernier, nous avons découvert que les microbes engendraient des maladies et engagé un combat de tous les instants pour les éradiquer », affirme Brett Finlay, microbiologiste à la University of British Columbia. L’amélioration de l’hygiène, conjuguée à l’avènement des antibiotiques, a grandement contribué à réduire la prévalence des maladies infectieuses. Cependant, M. Finlay pense qu’on serait allé trop loin. « En luttant contre ces dangereux microbes, on élimine également les microbes qui colonisent normalement le corps humain et auxquels on doit être exposé », précise le chercheur.
Le mélange des divers microbes qui vivent à l’intérieur du corps – appelé le « microbiote » – est aussi unique à chacun qu’une empreinte digitale. Des études réalisées notamment au laboratoire de M. Finlay ont démontré que lorsque la composition de cette communauté microbienne change d’une manière ou d’une autre, cela peut avoir d’importantes conséquences sur la santé.
À titre d’exemple, des antibiotiques utilisés pour tuer des bactéries infectieuses font aussi disparaitre un grand nombre des microorganismes qui se trouvent naturellement dans le corps. En outre, des études ont démontré que les enfants qui prennent des antibiotiques au cours de leur première année de vie ont 20 pour cent fois plus de risque de devenir asthmatiques. Cette corrélation laisse entendre qu’il existerait un lien entre l’asthme et le microbiote, mais jusqu’à récemment, nul n’avait démontré cette relation de façon expérimentale.
M. Finlay et son équipe ont abordé cette problématique en analysant le microbiote des selles de plus de 300 enfants canadiens dont certains étaient asthmatiques. « Nous avons pu établir qu’il y avait une plus grande prévalence de quatre espèces microbiennes chez les enfants qui étaient protégés contre l’asthme en comparaison aux enfants susceptibles de développer la maladie », affirme le chercheur. Lorsqu’on a inoculé des souris axéniques avec des mélanges microbiens contenant des taux élevés de ces quatre mêmes espèces, elles ont aussi été protégées contre l’asthme. Cette étude est parue dans la revue scientifique Science Translational Medicine.
Des travaux réalisés par d’autres chercheurs ont également établi des liens microbiens avec certains troubles tels que le diabète, l’obésité, la dépression, l’anxiété et même l’autisme. M. Finlay et Marie-Claire Arrieta, ancienne condisciple aux études postdoctorales, ont récemment publié un livre intitulé Let Them Eat Dirt qui résume les données probantes expliquant ce lien causal. On y formule aussi des conseils pratiques pour s’assurer que les enfants sont suffisamment exposés aux bonnes bactéries sans risque de contracter une maladie. « Il ne faut pas s’en faire si un enfant lèche le plancher chez lui, mais c’est une autre histoire s’il s’agit du carrelage d’une station de métro bondée », avance le chercheur. Il déconseille également l’usage de produits antibactériens pour assainir les mains qui, selon certaines études, ne sont pas plus efficaces qu’un lavage à l’eau et au savon.
Éventuellement, M. Finlay espère qu’un certain nombre de traitements feront intervenir une forme ou une autre de manipulation du microbiote. « Nous avons fait de belles percées, mais celles-ci ne sont pas encore tout à fait au point, affirme le chercheur. Nous renouons avec l’idée que notre espèce a évolué avec ces microbes et que leur élimination signifie la disparition d’un élément fondamental de notre constitution. »