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Dompter les éclairs

Maitriser l’une des forces les plus impressionnantes de la nature, voilà la prouesse qu’un physicien a réalisée dans son laboratoire, ouvrant ainsi la voie à de multiples applications.
Par
Bouchra Ouatik
Établissement(s)
Institut national de la recherche scientifique
Province(s)
Québec
Sujet(s)
Nature
Physics

Ils déchirent l’air. Des zigzags aussi spectaculaires qu’imprévisibles. Depuis toujours, ils fascinent les humains. Les Grecs de l’Antiquité, par exemple, les associaient à la force de leur dieu suprême, Zeus, qui pouvait lancer des éclairs à quiconque osait le défier.

Maitriser la foudre comme Zeus? Pourquoi pas? s’est demandé le physicien Roberto Morandotti, du Centre Énergie Matériaux Télécommunications de l’Institut national de la recherche scientifique, à Varennes, au Québec. Mais si le chercheur espérait effectivement trouver la façon de diriger la trajectoire des éclairs, il ne s’est pas aventuré dans les détonantes sphères célestes. Avec modestie, il s’est simplement intéressé aux décharges électriques.

Les décharges, ce sont ces petits éclairs observés par exemple dans la vie courante en présence d’électricité statique. Elles ont une foule d’utilités. Entre autres, elles font fonctionner les lampes au néon, déclenchent l’allumage des moteurs de voiture, servent à couper ou à souder le métal. Elles feraient beaucoup plus, surtout dans le domaine industriel, si elles étaient plus précises. Mais, tout comme la foudre, elles suivent une trajectoire erratique. Si on trouvait le moyen de corriger cette trajectoire, explique M. Morandotti, on améliorerait certainement la précision des décharges.

Le chercheur a commencé par créer des décharges électriques – autrement dit, des éclairs – en faisant passer un courant entre deux électrodes espacées de quelques centimètres. Il a ensuite dirigé un faisceau laser extrêmement puissant vers ce courant. Comme le laser crée sur son chemin un plasma – un nuage d’électrons – dont la densité est moins grande que celle de l’air, l’éclair s’est trouvé confiné à l’intérieur de ce tunnel de plasma. Mais cela ne l’a toujours pas empêché de suivre une trajectoire irrégulière.

Pour parvenir à contrôler plus finement l’éclair, le physicien a répété l’expérience avec différentes formes de laser.

Un laser traditionnel a une forme gaussienne, c’est-à-dire que son intensité est plus importante au centre du faisceau et diminue graduellement à mesure que l’on s’en éloigne.

Le chercheur a choisi deux types de faisceaux plus fins : les faisceaux dits d’Airy et de Bessel. Dans les deux cas, le laser se compose d’un faisceau très mince et très intense au centre, entouré de plusieurs faisceaux d’intensité moindre. Le faisceau d’Airy permet en plus de donner au laser une trajectoire courbe; ou encore, si on combine deux faisceaux d’Airy, une trajectoire en S.

«Avec ces types de faisceaux, vous pouvez créer des canaux de plasma très étroits dans lesquels la décharge tend à se propager», explique-t-il. Si étroits, que l’éclair n’a plus d’espace pour zigzaguer. Le voilà condamné à suivre une ligne droite! Les faisceaux laser d’Airy et de Bessel ont une autre curieuse propriété que n’ont pas les faisceaux gaussiens. Lorsqu’ils se heurtent à un obstacle, ils se reforment de l’autre côté, comme si l’obstacle n’existait pas. Et puisque les décharges électriques suivent exactement la trajectoire du laser, elles se trouvent elles aussi à faire fi des obstacles sur leur chemin. Le chercheur y voit déjà des applications concrètes, par exemple en microfabrication. Des décharges dirigées par laser permettraient de graver des matériaux avec une très grande précision.

Suivant ce concept, peut-on imaginer pouvoir un jour maitriser la foudre? Ce n’est pas impossible, croit Roberto Morandotti. « Ça représenterait des défis techniques énormes ! Et ça aurait une utilité bien réelle : empêcher la foudre de faire des dommages. N’avons-nous pas toujours rêvé de contrôler la météo?» dit-il.

Cet article a paru dans l’édition Janvier-Février 2016 du magazine Québec Science.