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Commotion : un sujet de recherche étourdissant!
200 000 commotions cérébrales chaque année au Canada. Si l’on n’est pas un ou une athlète de haut niveau, une personne sur 10 000 sera touchée. Si l’on aspire à une carrière dans le domaine du sport professionnel, on connaîtra trois ou quatre commotions cérébrales avant d’avoir atteint l’âge de 20 ans. Mais comme il n’existe aucun diagnostic objectif et que les personnes touchées sont notoirement réticentes à faire part de leurs symptômes, ces chiffres devraient probablement être plus élevés qu’on ne veuille l’admettre. Qu’est-ce qui entrave l’acceptation et la bonne gestion des commotions cérébrales?
Établissement(s)
Université de Montréal
Province(s)
Québec
Sujet(s)
Neurosciences
Représentez-vous cette scène : imaginez que vous avez passé du temps à charger le coffre de votre voiture de bottes et de skis; que dans l’habitacle se retrouvent quatre de vos amis les plus proches et que vous conduisez tous ensemble durant deux bonnes heures pour vous rendre à une station; qu’après avoir dévalés plusieurs pentes, vous vous rejoignez au restaurant au pied des pistes et vous vous offrez un bon repas; puis que vous repartez skier.
Une demi-heure plus tard, vous ne savez pas qui vous êtes, qui sont ces gens autour de vous, quelle heure il est, comment vous êtes arrivé là.
Vous venez de faire une chute et vous souffrez d’une amnésie post-traumatique (ce symptôme est présent dans 20 pour cent des cas de commotion cérébrale). Tout vous semble confus (40 pour cent des cas). Vous éprouvez des vertiges : votre corps n’arrête pas de bouger, le soleil vous éblouit et malgré un tapis de neige épais qui étouffe les sons, tout vous semble bruyant (à peu près 60 pour cent des personnes examinées rapportent ce genre d’étourdissements). Vous avez mal à la tête (ce symptôme est présent dans environ 80 pour cent des cas). En revanche, vous n’avez pas envie de vomir et vous n’avez pas perdu connaissance, c’est déjà ça! (Une seule commotion cérébrale sur 10 est accompagnée de l’un de ces symptômes.)
Bref, vous venez de subir un traumatisme craniocérébral léger (TCCL).
Si vous n’étiez pas neuroscientifique, neuropsychologue, professeur titulaire à la faculté de médecine de l’Université de Montréal et l’expert francophone en Amérique du Nord des commotions cérébrales, comme Dave Ellemberg à qui ceci est arrivé, ce diagnostic vous aurait probablement échappé.
Cela n’aurait rien eu d’étonnant car, non seulement les symptômes ne sont pas spécifiques aux commotions cérébrales, mais en plus ils varient beaucoup d'une personne à une autre.
Dans votre cas, vous ne faisiez peut-être pas du sport. Non, vous changiez une ampoule sur un vieil escabeau chancelant. Vous n’avez peut-être pas non plus subi d’impact direct à la tête mais à une autre partie de votre corps? Qu’à cela ne tienne! Si le coup a été assez violent pour que votre cerveau percute les parois de votre boîte crânienne dans un mouvement de balancier : malchance!
C’est effectivement à ce mouvement de va et vient que l’on reconnait une commotion. Le coup est d’abord frontal, suivi d’un contrecoup occipital. Lors du contrecoup, le tissu cérébral vient s’écraser contre la boîte crânienne, tandis que l’on observe également une torsion des fibres de matière blanche, les axones, à l’avant du cerveau. Celui-ci est blessé et votre fonctionnement neurophysiologique en sera altéré.
Nous avons voulu en savoir plus sur la recherche à ce sujet et nous nous sommes donc entretenus avec Dave Ellemberg, récipiendaire du financement de la FCI par le biais du Fonds des leaders John-R.-Evans en mars 2006.
Quel est votre parcours et quelle infrastructure de recherche avez-vous obtenu grâce à la FCI?
C’est à ce moment-là qu’est intervenue la FCI. Afin de développer nos aptitudes, nous avions besoin d’équipement de pointe. Les fonds de la FCI nous ont permis d’acquérir un système de haute densité d’électroencéphalographie humaine non invasif qui nous a permis d’effectuer nos tests, tant sur des adultes que sur des nourrissons.
Ce système ne pouvant être utilisé que dans un environnement à l'épreuve de toute activité électromagnétique et du son, nous nous sommes également procuré des cages de Faraday et des chambres anéchoïques. Puis nous avons peu à peu jumelé ce système à d’autres, notamment un système de stimulation auditif de Tucker-Davis, un système de stimulation visuelle et un autre de traitement des mouvements oculaires. Nous avons ainsi créé un environnement multi-sensoriel.
Ces outils technologiques datent d’il y a quinze ans mais nous les utilisons encore pour nos projets de recherche actuels. En fait, j'ai récemment jumelé le système original à une plateforme d'imagerie optique proche infra-rouge. Nous pouvons donc combiner des mesures électrophysiologiques et hémodynamiques et ainsi rester à jour dans les techniques d'exploitation.
Concrètement, qu’avez-vous réalisé avec cette infrastructure?
Grâce à cette infrastructure, et si je parle uniquement de nos travaux sur les commotions cérébrales, nous avons effectué des analyses sur plusieurs groupes d’âges différents et conclu que la population adolescente manifestera des déficits cognitifs plus graves à la suite d’une commotion cérébrale. Les adolescents sont donc la tranche démographique la plus vulnérable. Nous avons également été les premiers à regarder de façon objective les conséquences d’une commotion sur les cerveaux des femmes en comparaison à ceux des hommes.
De plus, nous suivons périodiquement des sportifs de haut niveau, surtout en début et en fin de saison ainsi qu’en cas de blessure. Le risque de subir une commotion cérébrale pendant une saison sportive s’élève à entre 10 et 20 pour cent.
Justement, le risque de faire une commotion cérébrale n’est-il pas plutôt réservé aux stades et aux gymnases?
Si notre cuir chevelu et notre crâne nous protègent relativement bien, le risque est malheureusement partout.
Bien sûr, il ne faut pas non plus exagérer : se cogner la tête ou faire une chute à skis ne cause pas systématiquement de commotion cérébrale. Un mal de tête peut durer plusieurs heures et être accompagné d’étourdissements ou d’un manque de concentration, mais heureusement, la blessure s’avèrera superficielle. Toutefois, il faut rester méfiant.
Dans ce cas, quelle est la particularité d’une commotion cérébrale et en quoi est-elle devenue un enjeu de santé publique?
Une commotion cérébrale a la particularité d’être une blessure qui laisse des traces. Une personne ayant subi un traumatisme craniocérébral léger gardera à coup sûr une altération neurofonctionnelle. La rééducation, la réadaptation aideront la personne, mais ne résoudront pas tout.
Le véritable enjeu selon moi, réside dans la prise en charge des commotions cérébrales.
En effet, n’importe qui s’inquiète de sa première commotion et prend la chose au sérieux. Les personnes touchées observent ce qui est conseillé, à savoir du repos suivi d’un retour très progressif à leurs activités. Aussi les symptômes s’estompent-ils rapidement et la majorité s'en remet assez bien.
Malheureusement, tout indique que les dommages s’aggravent lorsque survient une seconde commotion, car les personnes touchées ont tendance à minimiser l’incidence qu’elle peut avoir. On entend dire : « Ce n’est pas plus grave que ça! La première a guéri facilement! »
Qu’est-ce que la science peut faire de plus?
Ce que nous nous efforçons de faire avec les équipes de mon laboratoire, c’est d’amener la science aux Canadiennes et Canadiens, notamment en développant des stratégies d'intervention dans les écoles et en sensibilisant le public de plusieurs façons.
Nous devons trouver les moyens de changer les mentalités et j’irais même plus loin, de renverser les idées reçues.
La première idée reçue est celle de la « plasticité » du cerveau. Des gens qui ne s’y connaissent pas bien, voudraient nous faire croire que le cerveau est capable de se reprogrammer. C’est faux! La plasticité du cerveau est un phénomène réel mais limité;
La deuxième idée reçue est que les commotions ne touchent que les athlètes de haut niveau, les vedettes, les Sidney Crosby.
Nous terminons justement une série de cinq études qui se penchent sur les facteurs psychologiques qui freinent la prise de conscience de la gravité des commotions cérébrales. Nous nous appuyons notamment sur les données canadiennes d’un autre laboratoire qui rapporte que 80 pour cent des athlètes ne déclarent avoir de symptômes que si ceux-ci sont visibles.
Ce qui nous intéresse donc, c’est de découvrir quels sont ces facteurs qui retiennent les gens de parler du mal qu’ils ressentent? Pourquoi la connaissance et les techniques de sensibilisation ne suffisent-elles pas? Quelles sont les barrières mentales?
Qu’est-ce que les pouvoirs publics quant à eux peuvent faire de plus?
À mon avis, on a besoin de gens prêts à aller plus loin. Si une commotion cérébrale peut compromettre l'intégrité neuro-fonctionnelle et l'intégrité neuro-anatomique du cerveau des citoyens, comment se fait-il que le casque à vélo ou pour les sports de glisse ne soit pas encore obligatoire?
Les blessures ne sont pas uniquement occasionnées par le sport non plus. Elles surviennent dans un contexte de violence (violence conjugale par exemple), d’accidents de la route ou accidents du travail; contextes dans lesquels les autorités responsables des politiques publiques ont certainement un rôle à jouer.
Qu’est-ce que nous pouvons faire de plus à notre échelle d’être humain?
Prendre soin de son cerveau. Il faudrait éviter certaines sources d'agression comme la drogue ou la consommation excessive d’alcool. Il faudrait s’efforcer d’adopter une bonne hygiène de vie.
Et pour finir, qu'est-ce qui vous donne espoir dans la recherche?
Trois choses me donnent espoir :
La volonté des chercheurs, chercheuses et organismes subventionnaires de collaborer davantage au transfert entre la recherche fondamentale et la recherche appliquée;
Une plus grande volonté des chercheurs, chercheuses et médias de rendre la science accessible;
Une formidable capacité de divers intervenants et intervenantes à travailler ensemble. Je m’explique : quand un cerveau a été blessé et que les maux persistent, je mets mon chapeau de neuropsychologue clinicien pour comprendre ce qui ne va pas. Mais se met alors aussi en place tout un arsenal d’ergothérapeutes, orthopédagogues, thérapeutes du sport, kinésiologues, physiothérapeutes, nutritionnistes, etc. Tous ensemble, nous allons aider la personne et devenir les alliés de sa réadaptation.
Un autre mot pour conclure?
Bien entendu, les bienfaits de la pratique d’un sport dépassent largement certaines conséquences néfastes. Mais avec tout ce qu'on sait aujourd'hui, le fait que le cerveau est fragile et qu’il n'est pas assez bien protégé à l'intérieur de la boîte crânienne, nous avons tous et toutes la responsabilité de veiller à faire les activités qui nous plaisent de façon plus sécuritaire. Je pense qu'on ne prend pas assez soin de notre cerveau qui demeure pour moi, l’organe le plus fascinant du corps humain!
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