Le jeu vidéo constitue un important secteur d’activité commerciale au Canada, et cela augmente d’année en année. Selon l’Association canadienne du logiciel et de divertissement ‒ qui représente les concepteurs de jeux vidéos, les diffuseurs et les distributeurs ‒, ce secteur a généré 3,7 milliards de dollars du PIB national l’an dernier, a connu une hausse de 24 pour cent depuis 2015 et emploie près de 22 000 personnes à temps plein. Le Canada se classe au troisième rang pour la conception de jeux vidéos, après les États-Unis et le Japon.
Cependant, en raison de l’émergence de la distribution des jeux en ligne au cours de la dernière décennie, cette industrie est en pleine mutation. Et pour demeurer concurrentielles, les entreprises doivent s’adapter rapidement.
Regan Mandryk, du Interaction Lab de la University of Saskatchewan, compte bien leur donner un coup de main. Elle a mis au point une référence absolue pour mesurer la réaction physiologique des joueurs lorsqu’ils sont happés par l’expérience émotionnelle suscitée par le jeu. En surveillant certains facteurs comme le timbre de la voix, les modèles de voix, la fréquence de battement des paupières, la fréquence cardiaque et l’expression faciale, la chercheuse et son équipe peuvent connaitre le degré de frustration, de découragement, d’engagement, voire de satisfaction d’un joueur à un moment précis du jeu. Il s’agit là de renseignements très utiles pour une entreprise qui fait appel à des testeurs pour que ses jeux se démarquent sur le marché.
L’an dernier, la chercheuse a collaboré avec une pépinière d’entreprises de conception de jeux vidéos de Montréal pour transposer ces capacités dans une plateforme de mise à l’essai en ligne. Cette plateforme permet aux petites entreprises de recourir à la production participative pour former un groupe témoin, plutôt que de faire venir à grands frais des personnes dans un vrai laboratoire pour tester les jeux. La plateforme est particulièrement prisée par l’industrie canadienne du jeu vidéo : parmi les quelque 600 entreprises en service, plus de la moitié sont de petites sociétés indépendantes qui ne possèdent pas les ressources de développement de géants comme Sony ou Nintendo. Pour qu’il soit possible de mesurer à distance la réaction émotionnelle des testeurs, on utilise une webcaméra pour surveiller le battement des paupières, associé à la libération de dopamine, ou la pulsation des vaisseaux sanguins du poignet qui indique le rythme cardiaque. Les concepteurs de jeux vidéos peuvent ensuite utiliser ces résultats pour améliorer le jeu et faire vivre aux joueurs une expérience émotionnelle optimale.
Selon Pejman Mirza-Babaei, directeur de la recherche auprès des utilisateurs à la pépinière, cette capacité est plus importante que jamais pour que les studios de jeux indépendants soient couronnés de succès. En raison de la hausse de la distribution en ligne de jeux vidéos, de nombreuses options s’offrent désormais aux consommateurs qui souhaitent se procurer un progiciel de jeu. De plus, le modèle d’entreprise a évolué de sorte que les entreprises offrent le jeu gratuitement, ou pour une somme minime, et tirent plutôt leurs revenus des annonces publicitaires et de l’achat d’applications pour mobile. Ainsi, si un joueur ne s’amuse pas, il cessera de jouer bien avant d’ouvrir son portefeuille.
« Si un jeu est trop facile, on s’en lassera rapidement, explique M. Mirza-Babaei. Les concepteurs veulent que les joueurs éprouvent quelques difficultés, ou même qu’ils aient un peu peur. Mais ils doivent aussi s’amuser. Pour que ces jeux connaissent du succès, il est donc crucial de savoir s’ils suscitent les émotions initialement prévues chez les joueurs. »