John Eastwood ne se lasse jamais d’étudier l’ennui. Psychologue clinicien et professeur agrégé à l'Université York, il se penche sur les interactions entre les processus cognitifs et les émotions.
Quand je dis aux gens ce que je fais comme travail, je sais bien qu’ils se demandent pour quelles raisons on voudrait étudier l’ennui. N’est-ce pas un sujet vraiment ennuyant?, ajoute le chercheur.
Or, l’ennui est une expérience individuelle et complexe. Le chercheur croit que l’étude de ce phénomène met en lumière des connaissances sur les processus mentaux qui ont une incidence sur l’attention que nous interagissions avec une personne ou un objet, ou que nous tentions de l’éviter.
Ces jours-ci, M. Eastwood s’intéresse à l’expérience de l’ennui et de l’effort mental chez les personnes présentant un trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH). Il espère ainsi mieux comprendre les processus émotionnels et cognitifs liés à ce trouble, et leurs interactions.
Les enjeux sont de taille : le TDAH est un grave trouble du neurodéveloppement (comme celui du spectre de l’autisme); il est le principal trouble de santé mentale chez l’enfant au monde. Pourtant, il demeure largement mal compris et banalisé, même par des professionnels de la santé.
Laboratoire sur l’ennui
Peu après son embauche à l'Université York, en 2002, M. Eastwood a créé une salle d’observation qui est devenue par la suite un laboratoire sur l’ennui. Doté d’ordinateurs, de caméras vidéos et d’un oculomètre, il sert à mener divers types de recherche, procurant au chercheur la souplesse requise dans ses travaux.
Au départ, le chercheur observait l’attention portée aux renseignements émotifs importants de l’environnement et l’incidence des émotions sur la focalisation de l’attention. Bien qu’il se penche toujours sur ces questions, il se concentre maintenant sur « l’envers de la médaille », à savoir la création d’émotions par l’état attentionnel.
Par exemple, une réflexion rapide et souple entrainera le bienêtre. Mais des pensées plus lentes et répétitives produiront des émotions plus négatives, explique le chercheur.
Sentiment associé à la réflexion
John Eastwood définit ses travaux de manière très globale comme l’étude du sentiment associé à la réflexion. Il examine donc l’ennui et l’expérience liée à l’effort mental qui constituent, selon lui, des préoccupations courantes pour les personnes souffrant d’un TDAH.
Le chercheur définit l’ennui comme l’expérience déplaisante de l’esprit au repos.
L’ennui, c’est lorsque surgit le désir des désirs, explique-t-il, citant Tolstoï. Le hic, c’est que rien ne semble désirable ni digne d’attention.
L’expérience de l’ennui comporte un élément de motivation, ce qui la distingue de la frustration et de l’apathie. On ne connait pas bien les causes de l’ennui. Par défaut, on va rejeter le blâme sur l’environnement ‒ cette lecture est assommante, je m’en suis lassé ‒ au lieu d’examiner la situation propre à la personne concernée, ajoute-t-il.
Des études ont révélé que les personnes sujettes à l’ennui possèdent certaines caractéristiques ‒ telles que des déficiences cognitives et une faible conscience de leurs émotions ‒ et cherchent à réduire le stress ou à optimiser le plaisir. Bon nombre de ces traits sont d’ailleurs associés au TDAH.
Ennui et TDAH
Les théories actuelles définissent le TDAH comme un problème cognitif ou de motivation. Mais cette explication demeure partielle, affirme M. Eastwood. Les travaux du chercheur sur l’ennui et l’effort mental veulent étoffer cette thèse.
Ses travaux préliminaires montrent que les personnes à risque de développer un TDAH vivent des perturbations émotionnelles accrues au moment de réaliser une tâche ennuyante, mais exigeante sur le plan cognitif. Dans son laboratoire, dont l’équipement a été financé par la FCI, les participants à cette étude ont dû faire des calculs mentaux. À peu près toutes les secondes, des chiffres leur étaient présentés à un écran d’ordinateur, et ils devaient continuellement faire la somme des deux derniers nombres surgissant de ce flux incessant de données.
Pour les personnes à risque de développer un TDAH, l’effort mental est devenu très intense, même si elles s’en sortaient aussi bien que les autres. Elles ont indiqué ressentir plus étroitement le lien entre l’effort mental et la détresse. Après coup, ces personnes ont évoqué les pires moments de l’expérience lorsqu’ils ont dû mesurer le degré d’effort associé à cette tâche.
Les personnes atteintes d’un TDAH semblent éviter le plus possible les activités pressenties comme stressantes et très exigeantes sur le plan mental. Même si la tâche est simple, elles anticipent les difficultés, et s’y dérobent. Et si elles ne peuvent s’y soustraire, elles l’accomplissent en éprouvant plus de difficultés que les autres, explique M. Eastwood.
Connaissances nécessaires sur le TDAH
Il est très important de trouver une autre façon de comprendre le TDAH. De tels résultats de recherche peuvent procurer des indications supplémentaires sur les raisons pour lesquelles les enfants et les adultes atteints d’un TDAH ont de la difficulté à effectuer certaines tâches et adoptent fréquemment des comportements d’évitement et de procrastination, affirme Heidi Bernhardt, présidente-directrice générale du Centre de sensibilisation au TDAH, Canada, qui a travaillé en soins psychiatriques, et dont les trois fils, maintenant adultes, sont atteints d’un TDAH.
Beaucoup d’incompréhension subsiste à l’égard de ce trouble. La plupart des gens ignorent qu’il ne s’accompagne pas toujours d’hyperactivité, et que ce trouble peut persister à l’âge adulte. Ils l’associent faussement au profil du déficit d’attention. En réalité, la déficience se trouve dans l’inconstance de l’attention ‒ les personnes atteintes peuvent ainsi présenter une hyper focalisation ou une distraction excessive, affirme Mme Bernhardt.
La compréhension encore incomplète du TDAH a d’importantes conséquences. Les données de recherche montrent que les personnes atteintes, non traitées, présentent un risque accru d’éprouver des difficultés d’apprentissage, d’abandonner les études, de souffrir d’autres troubles de santé mentale, de devenir toxicomane ou alcoolique, d’avoir des démêlés avec la justice, d’être impliquées dans des accidents de la route et de mourir prématurément.
Sans l’aide nécessaire, ces personnes gaspilleront un immense potentiel, précise Mme Bernhardt.
À l’heure actuelle, l’offre de soutien est faible. C’est en partie ce qui m’a poussé à me pencher sur ces questions de recherche appliquée. Je veux essayer de concevoir des modèles pour comprendre les causes sous-jacentes du TDAH, puis cibler des traitements pour les enrayer, affirme M. Eastwood.