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Une question non négligeable

Certaines des technologies les plus en pointe conçues par l’homme apportent des réponses à quelques-unes des questions essentielles sur notre monde. En effet, la science fondamentale est un véritable coffre au trésor qui recèle de multiples possibilités d’innovation.

Le prix Nobel de physique 2015 décerné à M. Arthur McDonald pour sa découverte fondamentale qui vient changer notre compréhension de la matière et de l’univers représente une grande réalisation scientifique du Canada. Les travaux du lauréat et l’Observatoire de neutrinos de Sudbury (ONS), une installation de recherche située en Ontario où a été réalisée la découverte primée, témoignent des liens manifestes qui existent entre la recherche fondamentale et appliquée, ou plus précisément, de l’évidence que les deux sont unis par un continuum vital.

Comme c’est le cas de toute nouvelle connaissance, la découverte de M. McDonald démontrant que les neutrinos, des particules subatomiques, ont une masse et sont capables de se métamorphoser pourrait engendrer des innovations extraordinaires de la même façon que notre compréhension de la nature de l’électromagnétisme a donné naissance aux moyens de télécommunication modernes. Mais au-delà du seul pouvoir inhérent au savoir, les travaux scientifiques qui ont comme unique objectif d’éclairer une partie encore peu connue de l’univers dans lequel nous vivons – le type d’activités de recherche menées par M. McDonald lorsqu’il a choisi de se pencher sur ce qu’il advenait des neutrinos issus du Soleil – se traduiront souvent, tout au long du processus, par des idées d’applications dans le monde réel, qui sont parfois commercialisables.

SNOLAB, de sa nouvelle appellation, foisonne d’exemples de la sorte. Dans les années 1990, lorsqu’on a creusé la cavité qui allait abriter l’installation de recherche – située à deux kilomètres sous le sol – les sociétés minières de Sudbury ont utilisé les renseignements sur la géologie et la mécanique des roches de la région pour connaître les propriétés de la roche dans les gisements minéraux. La technologie de détection mise au point par des chercheurs de SNOLAB afin de mieux comprendre la matière noire – l’un des grands mystères de l’astrophysique moderne – est désormais commercialisée par une entreprise de Montréal et sert à mesurer l’exposition aux rayonnements à proximité de réacteurs nucléaires. Par ailleurs, la société américaine qui a conçu la cuve sphérique en acrylique contenant l’eau lourde utilisée pour faire fonctionner le détecteur de neutrinos de l’installation a maintenant mis en marché la même technologie afin de créer de grands aquariums dans le hall d’immeubles de bureaux.

C’est un fait, pour trouver des réponses aux questions scientifiques fondamentales, il faut souvent avoir recours à un équipement très perfectionné. Et les importants travaux d’ingénierie et de développement technologique nécessaires pour mener à bien un projet de recherche en particulier trouvent naturellement des applications qui dépassent l’objectif de départ.  

Ocean Networks Canada, un réseau d’instruments de surveillance et de détection très perfectionnés installé sur le plancher océanique le long de la côte ouest du Canada, illustre à merveille l’idée intrinsèque de la communauté de chercheurs selon laquelle les projets scientifiques sont plus productifs, et de ce fait encore plus utiles, lorsqu’ils servent le plus grand nombre possible de parties prenantes. Ces observatoires câblés recueillent des données sur les caractéristiques physiques, chimiques, biologiques et géologiques de l’océan afin de répondre à des questions fondamentales sur les processus qui régissent la planète. Parallèlement, l’équipe intègre les ensembles de données volumineuses produites par ces instruments, en les conjuguant à leur connaissance de la technologie de détection, à des applications qui vont de systèmes d’avertissement précoce pour les séismes et les tsunamis, à des outils qui produisent des renseignements détaillés sur l’état des glaces afin d’améliorer la sécurité maritime en passant par des hydrophones de pointe qui mesurent le niveau acoustique de l’océan en vue de protéger les baleines tout en détectant et en réduisant la pollution sonore provenant des navires.

Au-delà des connaissances et des technologies découlant de ces recherches fondamentales, il ne faut pas oublier les personnes qui sont formées dans ces installations vouées à la science fondamentale. En effet, le vaste éventail de compétences hautement spécialisées acquises dans des domaines comme l’analyse et le traitement des données, l’ingénierie en instrumentation et la gestion d’installations scientifiques d’envergure très complexes constitue l’un des résultats les plus précieux de ces projets de recherche en science fondamentale.

Ainsi, lorsque nous nous réjouissons de l’obtention d’un prix Nobel, il ne s’agit pas de reconnaître uniquement une percée fondamentale qui nous aide à mieux comprendre l’univers; nous devons également souligner le long chemin parcouru pour y arriver et tous les apprentissages qui ont jalonné ce parcours.

Gilles Patry est président-directeur général de la Fondation canadienne pour l’innovation, la seule organisation qui finance l’infrastructure de recherche de pointe au pays. Cet article d’opinion a été publié à l’origine dans le journal The Globe and Mail le 16 novembre 2015.