N’ayons pas peur de l’inconnu
Quand j’étais jeune, le père de ma voisine était inventeur et je trouvais cela tout simplement formidable – surtout parce qu’il avait acheté une piscine avec les profits générés par un brevet. Durant les chaleurs estivales, je tirais sur mes tresses en imaginant des gadgets susceptibles d’obtenir le même succès pour nous permettre d’avoir une piscine de notre côté de la clôture.
Puis, j’ai lu Frankenstein. Portée par mon imagination fertile, je voyais maintenant le voisin comme un savant fou qui, du fond du laboratoire installé dans son garage, relâchait des clones dans notre impasse par de sombres nuits sans lune. Une peur si profonde s’est emparée de moi que j’ai même fini par décliner une invitation à me baigner dans la fameuse piscine.
D’où venait cette peur? Je réagissais à l’inconnu – à la possibilité que cette activité scientifique engendre quelque chose d’abominable. Aujourd’hui, beaucoup d’entre nous éprouvent la même appréhension devant certains domaines de recherche. Nous reconnaissons la valeur de la science et sa capacité à améliorer la vie des gens en contribuant au développement social et économique, mais nous avons tendance à redouter les sphères de recherche que nous ne connaissons pas, par exemple l’intelligence artificielle.
Or, en tant qu’êtres de raison, nous devons considérer comment les bénéfices de l’intelligence artificielle peuvent l’emporter sur les risques. Si nous créons des machines qui utilisent l’intelligence artificielle, « nous » continuons à être aux commandes. Et si nous entrevoyons des dilemmes d’ordre déontologique et sommes capables de les résoudre, « nous » pouvons programmer le fonctionnement des appareils en conséquence. Si ces machines font des erreurs, ce seront les erreurs que « nous » aurons nous-mêmes commises.
Par exemple, certaines personnes craignent qu’une voiture sans conducteur s’arrête pour laisser un canard traverser la chaussée et qu’en sauvant ainsi la vie de l’animal, elle déclenche du même coup un carambolage. Ce scénario pourrait se produire et, de fait, cette situation est arrivée à des voitures conduites par des humains. « Nous » pouvons programmer une voiture autonome de manière à ce qu’elle vérifie ce qui se passe derrière le véhicule avant de donner un coup de frein.
L’apprentissage machine permet à un dispositif mécanique de faire le tri parmi de nombreux cas et de réagir à une situation selon les critères que nous choisissons. Lors d’une urgence, c’est précisément ce que font les gens, peut-être un peu plus lentement. Nous réagissons en fonction de l’information recueillie au fil des expériences passées et calculons les risques et les bénéfices de notre action. Or, il est possible de programmer une machine à faire exactement cela. Le secret consiste à inclure le plus grand nombre possible d’éventualités. Plus l’information disponible est valable et complète, plus la réaction sera appropriée. Le processus de création du programme nous force aussi à approfondir et à discipliner davantage notre pensée.
Les machines voleront-elles nos emplois? Bien sûr, certains postes disparaitront, mais d’autres, peut-être plus intéressants, devront être créés. Par exemple, il faudra moins de gens pour saisir les données, mais davantage pour les analyser. Et qui d’entre nous ne souhaite pas se voir offrir toujours plus de services destinés à lui simplifier la vie?
Nos universités et collèges sont bien placés pour favoriser l’émergence de pistes de réflexion originales dans des activités de recherche inédites et audacieuses. Aujourd’hui, les scientifiques abattent les barrières entre les disciplines et créent de nouveaux champs de recherche qui n’existaient même pas il y a quelques décennies. Ce faisant, ils ouvrent l’esprit de leurs étudiants en les exposant à d’infinies possibilités. Nous voulons guérir les maladies, prolonger la vie et rendre l’existence plus agréable de manière générale. Nous voulons trouver des façons de protéger notre environnement pour les générations futures tout en améliorant l’économie.
Soyons inspirés par ces importants enjeux qui pourraient être les clés de notre survie et de notre succès. N’ayons pas peur de l’inconnu; efforçons-nous plutôt d’acquérir toutes les connaissances possibles pour avoir le plaisir de relever ce défi et de nous donner l’espoir d’un avenir meilleur.
Roseann O’Reilly Runte est présidente-directrice générale de la Fondation canadienne pour l’innovation.
Cet article est paru à l’origine dans The Hill Times le mercredi 17 octobre 2018.