Article

Aider les secouristes à sauver des vies

Stagiaire postdoctorale, Shabnam Jabari a élaboré un algorithme de traitement plus précis des photos prises avant et après une catastrophe afin d’aider les secours.
Par
Roberta Staley
Établissement(s)
University of New Brunswick
Province(s)
Nouveau-Brunswick
Sujet(s)
Système d'information géographique (SIG)
Shabnam Jabari, boursier postdoctoral, posant pour la photo sur un fond rouge.

En 2003, alors que Shabnam Jabari en était à sa deuxième année d’études en génie civil et arpentage à la University of Tehran, un tremblement de terre a frappé Bam, une ville du sud-est du pays anciennement située sur la route de la soie. Le tremblement de terre d’une magnitude de 6,6 a tué plus de 26 000 personnes et en a blessé 30 000 autres. « La nouvelle a bouleversé le pays » dit Mme Jabari, stagiaire postdoctorale au Département de génie géodésique et géomatique de la University of Nouveau‑Brunswick.

La dévastation laissée par le tremblement de terre a tellement ébranlé Mme Jabari qu’elle a décidé de changer l’orientation de ses études en ingénierie. « Un jour, vous avez votre maison, votre quartier et votre famille, puis le lendemain, il n’en reste plus rien. J’ai pensé que ça aurait pu être mon cas. »

Voulant aider les victimes de futures catastrophes – en Iran et partout ailleurs – Mme Jabari a cherché une façon d’orienter ses recherches sur l’utilisation de l’imagerie par satellite pour la reconstruction après ce type d’évènement.

Mme Jabari est alors devenue une pionnière en matière de technologie. Elle est sur le point de commercialiser un logiciel d’ingénierie pouvant transformer la façon dont les gouvernements, l’industrie et les organismes de secours d’urgence abordent les projets difficiles et de grande ampleur, dont ceux qui suivent un tremblement de terre ou un autre évènement catastrophique. Mme Jabari est également un modèle à suivre : cette femme ayant entrepris des études en ingénierie dans un des pays présentant le plus grand écart entre les sexes est la preuve que les femmes peuvent surmonter les obstacles culturels et institutionnels pour se tailler une place au sommet dans les secteurs traditionnellement masculins – tant en Iran que dans les pays occidentaux.

Les quatre sœurs de la famille Jabari ont grandi en Iran, où elles nourrissaient des ambitions universitaires allant du domaine des affaires à celui de la chimie. Mme Jabari a été la première à se lancer en ingénierie, en grande partie grâce à son père, un travailleur de la construction qui l’a encouragée à être à l’aise avec la technologie et les outils. Ses deux parents l’ont également encouragée à fréquenter les meilleures universités. Elle dit que sa première ambition était « de les rendre fiers ».

Mme Jabari parle régulièrement avec sa famille par vidéoclavardage et lui rend visite chaque année. Elle s’ennuie de l’Iran, mais elle a appris à aimer les attraits naturels du Nouveau‑Brunswick et fait de longues promenades avec son conjoint sur les beaux sentiers forestiers de la province.

Sa connaissance et sa maitrise de la technologie lui ont permis d’exceller au cours de son baccalauréat. Après avoir réorienté ses études universitaires à la suite du tremblement de terre de Bam, elle a relevé de nouveaux défis technologiques exigeants au cours desquels elle devait comparer deux images satellite d’une région, avant et après une catastrophe – ce qu’on appelle l’imagerie bitemporelle – et analyser les différences observées pour évaluer les changements. Elle affirme que cette technique aide les gouvernements et les organismes non gouvernementaux à planifier les secours et les efforts de reconstruction.

Dans le cadre de sa maitrise à la University of Tehran, Mme Jabari a continué à travailler sur la détection des changements en se servant d’images de Bam. Elle a ensuite complété un doctorat à la University of Nouveau‑Brunswick, où elle est maintenant chef de projets techniques pour la Chaire de recherche du Canada sur le traitement d’images en géomatique avancée de l’établissement, dans le laboratoire de Yun Zhang, également chercheur en détection des changements. M. Zhang était heureux d’accueillir Mme Jabari au sein de l’établissement. Il souligne que la University of Tehran est à l’Iran « ce que Harvard est aux États-Unis ».

Mme Jabari a répondu à toutes les attentes. Pendant son doctorat, elle a mis au point un algorithme (en instance de brevet) nommé Patch‑Wise Co‑Registration, un outil qui intègre des images venant de satellites, de drones, d’avions et d’hélicoptères. « Peu d’étudiants peuvent accomplir ce qu’elle a fait. Elle est très talentueuse, intelligente et déterminée. » dit M. Zhang.

Selon M. Zhang, cet algorithme est une technologie de pointe pour relever un des plus grands défis de notre époque dans le domaine des applications d’images de télédétection en haute résolution. Le problème avec les méthodes actuelles réside dans le fait que la plupart des images prises par satellite ne sont pas efficaces pour la détection des changements en raison de la distorsion géométrique causée par l’angle du satellite au moment de prendre la photo. « Un énorme fossé sépare les données et la technologie auxquelles nous avons accès. La technologie actuelle n’est pas en mesure de traiter les données de façon efficace et de fournir des renseignements utiles. » précise M. Zhang.

Mme Jabari a toutefois découvert une façon de corriger les distorsions géométriques en se servant de la photogrammétrie, une technique qui permet d’obtenir des mesures précises à partir de photographies en s’appuyant sur la position exacte des points de surface.

M. Zhang souligne que le financement accordé par la Fondation canadienne pour l’innovation (FCI) a joué un rôle crucial dans la réussite des travaux de Mme Jabari. La FCI a financé son puissant ordinateur et son logiciel de système d’information géographique, et a également permis de couvrir les couts annuels élevés des droits de licence du logiciel.

Faire de la recherche n’est cependant pas toujours facile. « Il arrive qu’on se perde en chemin. Une petite erreur peut parfois prendre une semaine entière à repérer. » dit Mme Jabari. S’il y a une chose que cette dernière a apprise, c’est de prendre une pause lorsque les problèmes semblent insurmontables. « Je me lève et je vais me promener. Quand je reviens, j’ai tout d’un coup un plan en tête. Quand une idée me semble logique et que je persévère, je finis par progresser. »

Même si l’algorithme de Mme Jabari n’est pas prêt à être commercialisé, l’industrie et le gouvernement attendent avec impatience la mise au point d’un logiciel PWCR convivial. « Ce logiciel ne servira pas uniquement aux secours d’urgence; il servira également aux gouvernements, aux compagnies d’assurance et aux urbanistes – bref, à tous ceux qui ont besoin de savoir ce qui a changé dans une zone urbaine » dit Mme Jabari.

Elle est fière du travail accompli à la University of Nouveau‑Brunswick. Elle éprouve également un grand sentiment de satisfaction à l’idée d’être une femme évoluant dans un domaine à prédominance masculine. Elle se souvient encore des défis qu’elle a dû affronter à ses débuts : « Je devais travailler presque deux fois plus fort que mes collègues masculins pour faire mes preuves. Contrairement aux hommes, les femmes ingénieures ne sont pas toujours prises au sérieux – cela m’agaçait! » Pendant ses études en Iran, Mme Jabari s’est inspirée des quelques femmes ingénieures qu’elle a eues comme enseignantes ou comme mentores. Maintenant qu’elle a réussi, elle veut « que les jeunes filles sachent qu’une femme peut réussir en ingénierie. Je veux être un exemple pour elles ».